Par Chokri Baccouche
Nous les attendions par-devant, ils sont venus par derrière, disait Ali Laârayedh, à propos des assaillants qui avaient attaqué l’ambassade des Etats-Unis à Tunis le 14 septembre 2012. Mine de rien, l’ancien ministre nahdhaoui de l’Intérieur n’est pas le seul à avoir perdu le sens de la mesure et de l’orientation. Le président américain Donald Trump semble avoir vécu, à quelques menus détails près, la même amère expérience.
Le prix Nobel de la paix qu’il espérait obtenir méritoirement pour avoir « contribué de manière décisive à mettre fin à pas moins de huit guerres » lui a filé sous le nez et a été décerné à l’opposante vénézuélienne, Maria Corina Machado. Oups ! Il attendait le « Saint Grâal » par-devant mais c’est un magistral cocotier qui est venu cette fois-ci par derrière, porteur d’une douche froide et une désillusion que le locataire de la Maison Blanche ne sera pas prêt d’oublier de sitôt.
Ah la poisse ! Donald Trump a pourtant tout fait pour se voir attribuer cette prestigieuse récompense qui manquait à son tableau de chasse déjà bien garni. Il aura beau déplumer les têtes couronnées du Golfe de plusieurs milliards de dollars mais il lui manquait cette reconnaissance internationale qu’il aurait voulu accrocher dans son salon feutré, juste pour épater ses invités et chouchouter son égocentrisme démesuré.
Le comité Nobel a été bien ingrat dans cette affaire. Ses gentils membres ont préféré décerner leur prix à une « illustre inconnue », alors que la version 2025 de ce prix devait revenir à un homme qui « continue à conclure des accords de paix, à mettre fin aux guerres et à sauver des vies », comme l’a souligné avec amertume le directeur de la communication de la Maison Blanche, Steven Cheung, sur X.
La gorge apparemment nouée par l’émotion de la déception, ce dernier n’a pas manqué d’encenser son patron, histoire de joindre « l’utile » au désagréable déclarant en substance : « Il a le cœur humanitaire et personne d’autre que lui ne saura déplacer des montagnes à la seule force de sa volonté ». Cœur humanitaire ? On peut vraiment dire que cette réflexion est un peu trop gonflée car elle est loin de refléter la réalité.
Le présumé humanisme débordant de Donald Trump, tous les bipèdes de la terre l’ont vu en direct à la télé, à Gaza plus exactement. Ils ont vu de leurs propres yeux l’effet dévastateur des bombes américaines, gracieusement délivrées au bourreau sioniste, sur les populations civiles palestiniennes, déchiquetant femmes et enfants et rasant toute source de vie dans cette enclave palestinienne sinistrée. Ils ont entendu le président U.S déclarer de vive voix avec un cynisme inégalé qu’il projetait de transformer Gaza en « Riviera du Moyen-Orient » et que les Gazaouis étaient « de toute façon tous morts ».
Ils ont également eu connaissance des innombrables veto de l’administration américaine qui s’est opposée crânement et à de multiples reprises aux résolutions soumises au Conseil de sécurité de l’ONU visant l’arrêt immédiat de la guerre. Bref, ils sont au courant et pertinemment convaincus de la complicité de la Maison Blanche dans ce génocide dont l’onde de choc s’est répercutée aux quatre coins de la planète et qui inspire désormais l’horreur personnifiée et une insoutenable répulsion.
Il faudrait être frappé de strabisme ou atteint de la maladie d’Alzheimer pour ne pas admettre cette cruelle vérité qui n’échappe d’ailleurs à personne. De surcroit au Comité du prix Nobel de la paix qui a le devoir moral d’attribuer cette récompense aux plus méritants et non point à ceux qui prétendent être des faiseurs de paix alors qu’ils sont en réalité de fieffés irresponsables va-t-en guerre et sponsors attitrés de l’épuration ethnique et de l’injustice.
Dans sa fuite en avant dans l’extravagance, le président américain sombre en fait dans le burlesque et fait preuve d’un caprice puéril, en réclamant une récompense qu’il ne peut logiquement mériter.
Au grand dam de Donald Trump et il a vraiment de quoi ronger son pain noir, le prix Nobel de la Paix de l’an de grâce 2025 est revenu donc à Maria Corina Machado, l’opposante vénézuélienne qui est loin d’être en matière de justice et de droits de l’homme une référence et une Mère Térésa en puissance. Au sujet de la guerre israélo-palestinienne, la lauréate du prix Nobel de la paix a affiché, en effet, une position clairement favorable à Israël, surtout après les attaques du 7 octobre 2023.
Elle avait alors exprimé sa solidarité avec le peuple israélien et condamné sans équivoque les actions du Hamas, qualifiées d’actes terroristes. En avril 2024, elle a également réagi à la riposte iranienne contre Israël, après les bombardements israéliens de Téhéran, dénonçant l’alliance entre l’Iran et le gouvernement vénézuélien comme « une menace globale ».
Plus instructif et révélateur encore : son parti, Vente Venezuela, a signé en 2020 un accord de coopération avec le Likud, le parti de droite israélien, portant sur des questions de stratégie, de géopolitique et de sécurité — signe d’une proximité politique assumée.
Last but not least, la dame n’a jamais condamné avec la même vigueur les attaques israéliennes contre Gaza ni les pertes civiles qu’elles ont provoquées, privilégiant dans son discours une lecture axée sur la lutte contre le terrorisme.
Sans exagération aucune, on peut dire que le prix Nobel dégage cette année à mille lieues à la ronde les miasmes putrides des cadavres encore ensevelis sous les décombres du côté de Gaza. La récompense a beau échapper à l’averse complice de Donald Trump, mais elle est tombée apparemment sous la gouttière d’une gonzesse en tout point « irréprochable et à l’intégrité morale insoupçonnée ».
On vous l’avait dit : ce ne sont pas les dieux qui sont tombés cette fois-ci sur la tête, mais les vénérables membres du comité du prix Nobel de la paix…
C.B.