Par Chokri Baccouche
Les flux financiers suspects émanant de l’étranger continuent à poser problème en Tunisie. Malgré le fait que le Groupe d’action financière Gafi et la Commission européenne ont officiellement retiré notre pays de la liste des Etats tiers identifiés à haut risque de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme, les autorités tunisiennes au plus haut sommet de l’Etat continuent à émettre des réserves quant à l’efficacité des institutions nationales chargées de la lutte contre les financements d’origine douteuse.
La présidence de la République se fait du sang d’encre à ce sujet et le chef de l’Etat a personnellement exprimé ses préoccupations et ses doléances en recevant, lundi, Fethi Zouhaïr Nouri, le Gouverneur de la Banque centrale. Kaïs Saied, qui n’est pas du tout satisfait du travail de la Commission tunisienne des analyses financières, l’organe chargé de traquer les financements illicites, l’a clairement fait savoir à son interlocuteur.
«D’importantes sommes d’argent sont transférées de l’étranger en toute discrétion, tandis que d’autres fonds sont transférés et blanchis, au profit de personnes physiques ou morales, bancaires ou non bancaires, sans contrôle ni surveillance», a-t-il déclaré. Le reproche direct de Kaïs Saïed est-il fondé sur des preuves tangibles et recevables ou s’agit-il, au contraire, d’un constat exagéré qui n’obéit à aucun critère objectif. La première hypothèse semble la plus proche de la réalité, et pour cause ! On sait en effet que des sommes colossales d’origine douteuse et servant des intérêts occultes ont afflué en Tunisie et notamment durant la dernière décennie noire.
Cette montagne d’argent a bénéficié à d’innombrables associations dont le nombre a littéralement explosé au cours de cette période très tumultueuses. Sous couvert d’actions prétendument humanitaires ou sociales, la plupart de ces associations s’adonnent en fait à des activités le moins qu’on puisse dire louches.
Le blanchiment d’argent et surtout le financement du terrorisme sont en fait le principal dada de ces officines soutenues et sponsorisées à fond la caisse par des parties étrangères dans le but inavoué mais clair de semer les troubles et la zizanie dans le pays à des fins géopolitiques et stratégiques. Les attentats terroristes qui ont accompagné le règne abracadabrant du parti islamiste d’Ennahdha sont la conséquence directe de l’afflux massif de l’argent sale ayant déferlé sur la Tunisie durant cette époque sombre.
Bref, quand il ne sert pas à galvaniser le moral des petits soldats de l’apocalypse pour les inciter à perpétrer des actions violentes, l’argent d’origine suspecte sert à financer des actions subversives visant à déstabiliser le pays. Les troubles qui ont éclaté dans le pays par intermittence coulent ainsi de source et servent les mêmes objectifs.
Heureusement que la situation sécuritaire s’est nettement améliorée depuis. Curieusement, on n’a enregistré aucun attentat terroriste ces dernières années. A croire que le changement salvateur du régime a permis de décanter cette situation intenable et calmer l’ardeur des apprentis terroristes qui ont subitement disparu de la circulation. Le tour de vis effectué par les pouvoirs publics en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, qui s’est traduit par la mise au pas de bon nombre d’associations suspectes, n’est certainement pas étranger à l’amélioration sensible de la situation sécuritaire dans le pays.
Force est de reconnaitre cependant que la partie n’est pas gagnée pour autant, s’agissant d’un phénomène particulièrement coriace qui a la peau dure. Tout comme les narcotrafiquants qui font preuve d’ingéniosité pour trouver de nouveaux circuits et de nouvelles routes servant à transférer leur poison après la découverte par la justice de leurs combines et stratagèmes, les énergumènes qui sont derrière les financements suspects adoptent la même démarche. Plus exactement, ils s’adaptent et trouvent généralement une autre alternative pour atteindre leurs objectifs et ce, en recourant à des moyens autrement plus insidieux et sophistiqués.
Comme le dit avec une remarquable clairvoyance un adage ancestral bien de chez nous «le voleur arrive toujours à l’emporter sur le ‘’hêleur’’». Partant de ce constat et de cette évidence difficile à remettre en cause, il n’est pas du tout exclu que l’argent sale continue de plus en plus à affluer en Tunisie, mais à travers d’autres modes opératoires et d’autres moyens « plus sûrs » et non plus par le biais des associations complices qui sont considérées désormais comme des «cartes grillées».
De quoi peut-il bien s’agir ? Certains initiés, rompus aux arcanes de la finance, mettent à l’index, à cet effet, les dysfonctionnements voire les aberrations du système national de contrôle des opérations financières. Ils déplorent à ce propos, et à titre d’exemple, les pratiques illicites d’une banque publique, rachetée il y a quelques années par un pays du Golfe.
Les nouveaux responsables de cette banque, semble-t-il, ont pris l’initiative de créer une plateforme de transfert d’argent établie à l’étranger mais sans obtenir au préalable l’autorisation de la Banque centrale de Tunisie comme l’exige la réglementation. Le comble c’est que les nouveaux propriétaires auraient réussi à s’approprier la base de données de l’ensemble des abonnés de cette banque.
Ainsi, il devient potentiellement facile de transférer illicitement de l’argent, estiment-ils, sans être pris en flagrant délit par les « radars » de la Commission tunisienne des analyses financières. Il suffit en effet de transférer plusieurs millions de dinars par exemple en les dispatchant en « petites coupures » sur un certain nombre d’abonnés « triés sur le volet et acquis à la cause des généreux donateurs » et le tour est joué.
Cette hypothèse, fort plausible du reste, révèle l’existence de sérieuses failles dans le système qui justifient amplement les appréhensions et les craintes de la Présidence de la République.
Des failles troublantes qu’on doit impérativement combler dans l’urgence par souci de salubrité publique et surtout pour couper l’herbe sous les pieds de esprits malveillants qui pêchent en eau trouble et cherchent noise à notre pays depuis plusieurs années déjà…
C.B.