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Editorial : Un incident et des questions…

Par Chokri BACCOUCHE

Entre le palais de Carthage et l’UGTT, la vie est loin d’être un long fleuve tranquille depuis quelques jours. Les relations entre la présidence de la République et la centrale syndicale, qui ne sont pas au beau fixe depuis quelque temps, se sont en effet dégradées suite à l’incident survenu le 7 août dernier. Ce jour-là, plusieurs personnes s’étaient rassemblées, rappelons-le, devant le siège de l’UGTT, scandant des slogans hostiles au syndicat que les manifestants avaient qualifié de « symbole de corruption » et de « mafia ». Les protestataires ont appelé à la dissolution de l’UGTT et au départ de son secrétaire général, Noureddine Taboubi, qualifié de « lâche ». Ils ont par ailleurs accusé le syndicat de dilapider l’argent des Tunisiens et des contribuables. En réaction à cette marche, l’UGTT a publié un communiqué très sévère, dans lequel elle condamne avec fermeté ce qu’elle a qualifié de  « tentative d’intrusion » orchestrée  par des « groupes criminels» agissant sur ordre de campagnes de mobilisation. L’organisation a comparé ces agissements aux méthodes des anciennes Ligues de protection de la révolution, en référence aux incidents survenus en 2012 sous le règne de la Troïka dirigée à l’époque par le mouvement islamiste d’Ennahdha, affirmant qu’elle entend poursuivre en justice les auteurs présumés de cette tentative d’intrusion.
«Il s’agit d’une manœuvre visant à semer la discorde et la violence dans le pays. Les syndicalistes doivent se mobiliser pour défendre leur organisation», peut-on lire sur la page officielle de l’UGTT. Le secrétaire général adjoint de la centrale ouvrière, Sami Tahri, y a rajouté une bonne couche. Dans un post sur Facebook, il a  précisé que cette attaque avait été préparée à l’avance par des partisans du président de la République. Les organisateurs auraient mobilisé les manifestants sur les réseaux sociaux à travers des vidéos en direct publiées sur plusieurs plateformes. Un repérage des lieux aurait même été effectué, selon Tahri, qui affirme que ce rassemblement se déroulait sous le slogan : « Jeudi noir contre l’Union ».
Le porte-parole de l’UGTT a aussi indiqué que les assaillants étaient des partisans du président ou du «processus», et qu’ils n’avaient aucun lien avec l’activité syndicale, certains n’étant même pas des salariés. Il a accusé le pouvoir d’avoir toléré, voire encouragé, cette attaque par des discours criminalisant la grève des transports qui avait eu lieu quelques jours auparavant et qualifiant les syndicalistes de traîtres. On avait pensé que les choses allaient s’en tenir à ce niveau, mais c’était sans compter la réaction de la Présidence de la République. Visiblement très remonté par les accusations du bureau exécutif de l’UGTT qui lui a  fait porter le chapeau de cet incident, Kaïs Saïed a contre-attaqué  lors d’une rencontre avec sa cheffe du gouvernement, Sarra Zaafrani Zenzri. Dans un message sans ambages adressé à la Centrale syndicale publié via une vidéo, le chef de l’Etat a accusé les dirigeants de l’UGTT d’hypocrisie et de mensonges. Tout en précisant que les forces de l’ordre avaient protégé le siège de l’UGTT et évité la confrontation, il a assuré que « les protestataires n’avaient l’intention ni d’agresser ni de s’introduire dans le bâtiment, comme le prétendent les mauvaises langues. Malgré cela, certains ont voulu comparer la manifestation à ce qui s’est passé en 2012 : le jet d’ordures sur la place et l’agression physique de syndicalistes, a-t-il ajouté avant d’annoncer qu’il «n’y aurait pas d’immunité pour quiconque aurait violé la loi».
Le feuilleton est loin de connaître apparemment son épilogue. En effet, piquée au vif par la riposte présidentielle qui n’a pas du tout ménagé ses dirigeants, l’UGTT a annoncé à son tour, hier samedi 9 août, la tenue d’une instance administrative, initialement prévue pour demain lundi 11 août 2025 à son siège. Sur quoi va déboucher cette réunion ? S’agira-t-il d’un simple baroud d’honneur visant à «laver l’affront» ou faut-il s’attendre à une escalade des tensions à travers l’organisation d’une nouvelle grève ? Wait and see.
Ce qui est sûr en revanche, c’est que l’incident survenu jeudi dernier suscite de nombreuses questions légitimes qui méritent une réponse claire. S’agit-il d’une simple marche de protestation contre le bureau actuel de l’UGTT sur lequel pèsent, comme on le sait, de lourds soupçons de corruption ou, au contraire, une « intrusion délibérément orchestrée » par les partisans du président de la République ? Cette affaire a-t-elle été, en fin de compte, un peu trop instrumentalisée à des fins politiques surtout que la direction actuelle de la centrale ouvrière est confrontée à une sévère crise interne sur fond d’une légitimité contestée par de nombreux syndicalistes ? Tout cela pour dire et sans jeter un pavé dans la mare que les apparences sont souvent trompeuses. Raison pour laquelle il importe d’éviter d’aller trop vite en besogne pour tirer des conclusions hâtives, particulièrement dans le domaine politique où les paroles n’engagent que ceux qui leur prêtent une oreille attentive…

C.B.

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