Par Hassan GHEDIRI
Officiellement, le nombre de candidats tricheurs au baccalauréat 2025 pris en flagrant délit au cours de la session principale a été de 647 sur un total de 151 779 élèves inscrits. En comparaison avec l’année passée, ils sont, à première vue, moins nombreux ceux qui ont tenté de duper les surveillants en se servant d’un smartphone caché dans un pull, d’une oreillette planquée dans un foulard ou bien (pour les amateurs des vieilles astuces), par des fausses-copies camouflées on ne sait où. A l’issue de la session principale du bac 2024, le ministère de l’Education avait cérémonieusement annoncé avoir démasqué 821 petits malins. Ainsi, la triche aurait reculé d’un peu plus de 20%. Un constat qui ne peut toutefois pas être confirmé à 100% parce que rien n’indique que les autres candidats (151 132 très exactement) ayant passé les épreuves de la session principale ont été tous honnêtes et disciplinés. Certainement, beaucoup auraient pu frauder sans se faire prendre, d’autant plus que cette année, les autorités n’ont pas déployé de nouveaux instruments techniques capables de circonscrire la triche au bac qui tend à se sophistiquer à l’aide de la technologie et de l’intelligence artificielle.
Certes, le phénomène n’est pas exclusivement tunisien, mais il devient encore plus angoissant parce qu’il n’illustre pas seulement l’effondrement d’un système éducatif mais se manifeste comme un symptôme d’une faillite morale générale. La triche aux examens est aujourd’hui le reflet d’une pratique sociale courante et dangereusement banalisée. D’ailleurs, elle n’est plus un sujet tabou ou honteux pour beaucoup de Tunisiens. Dans la routine quotidienne d’une large frange de notre société, la triche est synonyme de débrouille.
Pour revenir au bac, certains diront que la fraude n’est pas aussi grave pour faire toute une histoire. Un appel à la modération qu’ils justifient par les chiffres. Les 647 cas de fraudes signalés à la session principale du baccalauréat 2025 n’impliquent, selon eux, que moins de 0,5% du nombre total des candidats. D’aucuns sont toutefois convaincus que ce taux infime n’est que la partie émergée de l’iceberg. Dans une société qui semble avoir perdu tous ses repères moraux et où les familles, obsédées maladivement par la réussite scolaire de leurs enfants, ces derniers, du moins beaucoup d’entre eux, ne se soucient plus des moyens pour y parvenir. Depuis l’école, on commence à apprendre qu’il n’est pas interdit de tricher, mais de se faire prendre. La fraude scolaire n’est plus un simple dérapage individuel ou un acte dicté par le stress des examens. Petit à petit, elle s’est malheureusement ancrée dans les mentalités, devenant un comportement collectif presque accepté, voire souvent valorisé. Des élèves, parfois encouragés et financés par leurs familles, s’organisent des mois à l’avance pour acquérir du matériel sophistiqué capable de contourner le dispositif de surveillance et déjouer les plans anti-triche instaurés par l’Etat, comme s’il s’agissait d’une épreuve à part entière. Un dérapage mafieux qui révèle l’ampleur d’un phénomène social alarmant. Et la fraude scolaire n’est qu’un point de départ. Elle se décline ensuite en tricherie universitaire, en falsification de diplômes, en achat de concours, puis, dans la vie professionnelle, en clientélisme, népotisme, contournement des lois et détournement de fonds publics. L’élève qui triche sans jamais être démasqué devient plus tard un adulte pour qui la corruption s’apparente à un réflexe spontané et naturel. C’est ainsi que la société produit des générations entières habituées à la fraude. Un vrai cancer qui gangrène le tissu social et suscite le désespoir au sein de la population et ébranle sa confiance dans l’Etat.
H.G.