En recevant, lundi dernier, la ministre des Finances , le président Kaïs Saïed a réitéré un message qui, pour lui, tient presque de la conviction profonde : la Tunisie qui a toujours respecté ses engagements financiers à l’international, bien que, souvent, cela ait été fait au détriment de la volonté du peuple. Car, selon lui, bon nombre de ces dettes n’ont jamais bénéficié aux Tunisiens. Des propos qu’il ne cesse de marteler, soutenu, dit-il, par les constats de plusieurs organisations internationales. Des prêts contractés sans transparence, parfois sans contrepartie réelle, pour lesquels «nous payons les intérêts sans en tirer de bénéfice». Cette position suscite des réactions très controversées, mais elle pose un vrai problème: la Tunisie doit-elle continuer à porter le fardeau d’une dette héritée de décennies de mauvaise gouvernance, de corruption et de régimes autoritaires? Pouvons-nous continuer à vivre avec cette fatalité budgétaire comme si elle allait de soi?
Depuis l’indépendance, la dette extérieure tunisienne n’a cessé de croître. Un premier crédit est contracté auprès du FMI en 1964-1965, marquant l’entrée du pays dans le cercle des débiteurs mondiaux. En 1967, la dette atteignait 5,8 milliards de dinars. Aujourd’hui, elle dépasse les 123 milliards. En 1986, un crédit structurant est accordé pour initier des réformes économiques – des réformes qui, faut-il le rappeler, n’ont jamais réellement profité à la majorité des Tunisiens.
Mais c’est surtout après la révolution de 2011 que la question des dettes odieuses revient au cœur du débat. Des fonds contractés par l’ancien régime de Ben Ali, souvent sans transparence ni respect des procédures, auraient servi à alimenter un système clientéliste et répressif. Deux pistes avaient alors été mises sur la table : la suspension du remboursement des dettes jugées illégitimes, et leur reconversion en investissements productifs. Douze ans plus tard, ces pistes sont restées lettre morte.
Pendant ce temps, la dette extérieure du pays a presque été multipliée par cinq. La Tunisie ne s’endette plus pour se développer, mais pour rembourser ses dettes passées, tombant dans un cercle vicieux qui étouffe toute marge de manœuvre budgétaire. Et les échéances à venir ne laissent guère de répit : en 2025, c’est encore plusieurs milliards qui devront être versés aux créanciers internationaux, pendant que les hôpitaux manquent de médicaments, les écoles d’enseignants et les jeunes d’avenir. Les générations futures ne nous toléreront jamais de les avoir fait subir le fardeau des dettes dont ils n’en avaient jamais profité. Jusqu’à quand allons-nous payer pour les erreurs du passé?
Des pays comme l’Équateur ou l’Afrique du Sud, dans des contextes similaires, ont ouvertement remis en cause la légitimité de certaines dettes contractées sous des régimes autoritaires. Ils ont plaidé, parfois avec succès, pour leur annulation partielle ou totale, sur la base du droit international et de la notion de dette odieuse. La Tunisie, pays en transition démocratique, ne devrait-elle pas, elle aussi, revendiquer ce droit à la justice financière?
Évidemment, la question est sensible. Elle touche à la crédibilité de l’État tunisien sur les marchés, à sa diplomatie économique, à sa relation avec les bailleurs de fonds. Mais peut-on vraiment faire l’impasse sur un débat aussi fondamental, quand l’État s’effondre sous le poids de remboursements qui ruinent ses capacités d’action?
Il ne s’agit pas de plaider pour un défaut de paiement sauvage ou un isolement international. Il s’agit de porter, avec sérieux et courage, une réflexion nationale sur la nature de notre dette, ses origines, sa légitimité. D’ouvrir ce débat avec toutes les forces vives du pays – société civile, partis, économistes, syndicats – et de le porter sur la scène internationale avec l’appui d’une diplomatie habile et déterminée.
H.G.