En ce début du mois de juin, l’été s’installe sans détour au sud de la Tunisie. À Médenine, Tataouine, le soleil frappe déjà fort, le mercure frôle les 40°C, et avec lui revient, obsédant, le spectre des longues journées caniculaires… sans eau au robinet. Car si le nord et le centre du pays ont pu profiter, depuis l’automne, de pluies relativement généreuses, le sud demeure tristement livré à son sort géographique et climatique. Là où l’eau a toujours été presque la chose la plus précieuse mais qui commence ces dernières années à devenir une denrée très are. Avec des nappes phréatiques surexploitées, et une infrastructure hydrique vétuste, la rareté de l’eau est un cauchemar permanent pour des milliers de familles.
À Tataouine, le climat aride impose depuis toujours une gestion rigoureuse de l’eau. Malgré des efforts de réhabilitation des réseaux dans certaines zones, les habitants continuent à faire face à des coupures récurrentes d’eau potable, notamment durant les vagues de chaleur prolongées. Dans les zones rurales, certaines familles dépendent encore des citernes et des puits collectifs, tandis que dans les zones urbaines, la pression diminue et les sources s’assèchent pendant de longues heures. L’accès régulier à une eau propre et abondante est un souvenir lointain.
Une préoccupation que beaucoup de pays dans le monde tentent de satisfaire chacun par ses moyens. En Tunisie, des idées révolutionnaires existent déjà et n’attendent que le soutien. Avec une grande ambition de répondre aux défis globaux liés à l’accès à l’eau, a vu le jour, il y a plus de cinq ans, la start up tunisienne Kumulus. Fondée par de jeunes ingénieurs tunisiens, l’entreprise a misé sur une technologie à la fois innovante, pragmatique et durable : des générateurs atmosphériques capables de produire de l’eau potable à partir de l’humidité de l’air. Leur efficacité a déjà été démontrée dans divers contextes (écoles, villages isolés, camps ou bâtiments sans raccordement fiable au réseau. Ces derniers jours, Kumulus vient de lever 3,1 millions d’euros (plus de 10 millions de dinars) de fonds en amorçage pour accélérer le déploiement de ses solutions innovantes de production d’eau potable à partir de l’air. Ces fonds ont été levés auprès des banques et des fonds d’investissement européens et régionaux. Cette opération vient consacrer la solidité de son modèle, l’efficacité de sa technologie et la pertinence de sa mission. Grâce à ces moyens accrus, Kumulus compte développer des appareils encore plus performants et intensifier son déploiement, aussi bien en Tunisie qu’à l’international. Plusieurs pays confrontés à la pénurie d’eau manifestent déjà leur intérêt.
Mais ce succès à l’international met en lumière un contraste regrettable : en Tunisie, le soutien public à l’innovation reste timide. Les start up comme Kumulus peinent encore à obtenir des partenariats avec les collectivités locales. Les procédures sont longues, les blocages administratifs nombreux et l’élan d’audace institutionnelle fait cruellement défaut. Cela traduit un problème plus profond : une incapacité à reconnaître la capacité de nos jeunes entrepreneurs à formuler des réponses concrètes aux défis nationaux.
Il est incohérent et préoccupant de voir une solution tunisienne, qui répond à un besoin vital, davantage valorisée à l’étranger que dans son propre pays. L’innovation ne peut pas prospérer sans écosystème de confiance. Ce n’est pas seulement une affaire de financement : c’est une question de vision, de gouvernance et de volonté politique. Il faut encourager, intégrer et parfois même anticiper ce que proposent ces jeunes esprits tournés vers l’avenir.
Ce cas dépasse celui de Kumulus. Dans tous les domaines (santé, agriculture, énergie, éducation) des start up tunisiennes émergent avec des idées neuves, des technologies prometteuses et surtout un désir sincère de contribuer au bien commun. Les ignorer, c’est rater de grandes opportunités d’avenir. Les soutenir, c’est investir dans une Tunisie qui crée, qui exporte des solutions et qui répond avec intelligence et responsabilité aux défis climatiques, économiques et sociaux. C’est pour dire que si aujourd’hui le sud peine désespérément à retenir ses habitants sous un ciel presque éternellement bleu et muet, l’État peut au moins faire un geste en faveur des solutions innovantes capables de changer le quotidien de millions de personnes. Le soutien des projets tels que Kumulus suffit pour que l’espoir ne s’évapore pas. Et pour que l’innovation … ne meure pas de soif.
H.G.