Le démantèlement, très médiatisé, des camps de fortune de migrants subsahariens installés à El Amra et Jébéniana a permis de rassurer un tant soit peu les citoyens de ces deux villes relevant du gouvernorat de Sfax et considérées comme l’épicentre de la crise migratoire en Tunisie. Ces opérations, qui se déroulent de manière pacifique dans le strict respect du droit des migrants, ont fait baisser de deux crans les tensions sociales qui avaient pris une ampleur considérable ces derniers mois. Houssemeddine Jebabli, le porte-parole de la Garde nationale, a déclaré jeudi dernier au micro de Radio Sfax, que les « autorités organisent actuellement deux vols de rapatriement volontaire chaque semaine, en plus de nombreux départs individuels». Au total, ce sont « quelque 3400 migrants irréguliers qui ont volontairement quitté depuis le début de l’année la Tunisie », a ajouté Jebabli en précisant que les autorités tunisiennes ont renforcé les mesures de contrôle aux frontières afin d’empêcher l’entrée de migrants irréguliers par voie terrestre et leur départ vers l’Europe par voie maritime sur des embarcations de fortune.
La communication dans la transparence a ceci de particulier, c’est qu’elle permet de couper la route aux surenchères et aux rumeurs dont on ferait certainement l’économie par souci de salubrité publique. Bref, de lever les équivoques et surtout, surtout de rassurer. Et sur ce point, on peut dire que les autorités compétentes font beaucoup mieux que d’habitude depuis quelque temps, même s’il faut reconnaitre qu’on nous laisse quelque part sur notre faim. Pourquoi ? Parce que nos responsables ne disent pas tout sur ce sujet brûlant et ont tendance à distiller l’information au compte-gouttes. On ignore tout, en effet, sur le sort réservé à ces migrants qui ont été déplacés d’El Amra et de Jébéniana. Ont-ils été relocalisés ailleurs dans des espaces spécialement conçus et contrôlés, dotés d’un minimum de commodités qui puissent préserver leur dignité et éviter qu’ils ne squattent d’autres endroits, ce qui est de nature à créer de nouvelles tensions sociales avec les populations locales ? A contrario, s’est-on contenté de les obliger à quitter seulement la région, ce qui revient à dire qu’on n’aura fait qu’un coup d’épée dans l’eau puisqu’on va acculer ces desperados à s’installer ailleurs ?
Selon les statistiques officielles du ministère de l’Intérieur, le nombre des migrants subsahariens installés en Tunisie s’est multiplié par trois entre 2014 et 2021, passant de 7 mille à 21.400. La mobilité de ces migrants rend difficile, cependant, la quantification exacte de ces chiffres. On sait qu’un nombre, assez limité il faut l’avouer, de migrants qui ont exprimé leur désir de retourner volontairement dans leur pays mais beaucoup d’autres refusent justement de se faire rapatrier et réclament soit de les laisser partir vers l’Europe soit le droit de travailler et de vivre en Tunisie avec leur famille. Combien sont-ils et qu’envisagent de faire les autorités tunisiennes à ce propos ?
Autre question importante : aura-t-on les moyens de rapatrier tous les migrants qui désirent retourner volontairement chez eux ? Toutes ces interrogations et non des moindres qui obnubilent l’attention de très nombreux Tunisiens restent sans réponse et donnent l’impression finalement que la crise migratoire qui a créé pas mal de grabuges dans nos murs est loin d’être malheureusement dans le rétroviseur. N’ayons pas peur des mots, la Tunisie n’a pas les moyens de gérer seule ce dossier épineux en raison de ses implications économiques et sociales. Elle ne peut, par conséquent, supporter une charge aussi lourde qui dépasse largement ses capacités. Pour permettre le rapatriement volontaire d’un plus grand nombre de migrants, il est nécessaire que les pays européens mettent davantage la main à la pâte ou plutôt à la poche. Certes, l’Organisation Mondiale de la Migration offre des services d'assistance aux migrants qui souhaitent retourner volontairement dans leur pays d'origine, mais son action est somme toute limitée et insuffisante, car elle requiert des moyens financiers plus conséquents. L’Union européenne, qui cherche à juguler les flux incessants des migrants clandestins sur ses frontières, a tout intérêt à ne pas se dérober à ses obligations financières à l’égard de la Tunisie, un pays qui s’est engagé à lui porter assistance. Le jeu et les enjeux en valent bien la chandelle et c’est la raison pour laquelle l’Europe ne doit nécessairement éviter de s’égarer dans les petits calculs d’épiciers qui ne feront que compliquer davantage la situation et empêcher la résolution espérée de ce sacré problème migratoire…
C.B.