Par Chokri Baccouche
« Am » Hédi, un voisin du quartier, aimait bien sa Nounou, une chatte de gouttières. Il en était fier et la dorlotait, choyait et bichonnait à longueur de journée. A tel point que sa femme Khadija en est devenue jalouse. Un beau jour et pour on ne sait quel motif, Nounou est tombée subitement en disgrâce et a été chassée manu militari par son maître. Interloqués par ce comportement inhabituel, des passants qui connaissaient l’idylle entre l’homme et la bête lui avaient demandé la raison de cette surprenante désaffection. « Elle a fait preuve à mon égard d’une ingratitude inacceptable. Je l’ai nourrie, blanchie, gâtée et dressée pour qu’elle lutte contre les rongeurs mais, à ma grande déception, je l’ai surprise de mes propres yeux en train de dérouler le tapis rouge devant une souris qui s’apprêtait à rentrer dans ma maison », dit-il sur un ton martial. En tant que caporal de l’armée à la retraite, « Am » Hédi, toujours droit dans ses bottes mais d’une compagnie très agréable en temps normal, n’a pas digéré le laxisme de sa Nounou qu’il a consideré comme un acte de « trahison impardonnable ».
Trahison ? Le terme est certainement inapproprié pour une pauvre bête dont le seul tort est d’avoir négligé l’intrusion d’un rongeur qu’elle a dû trouver peut-être assez sympathique à son goût. La véritable trahison, c’est du côté de la Syrie « libérée du joug d’un impitoyable dictateur » qu’il faut aller chercher. Elle est limpide comme l’eau de roche, théâtralisée à la hollywoodienne et d’une lâcheté écœurante. En effet, et au moment où les « preux libérateurs barbus » du groupe islamiste Hayat Tahrir Al-Cham font la bamboula pour fêter la chute du régime de Bachar El Assad, dans une cacophonie de hourra et de tirs à la Kalachnikov indescriptible, l’armée sioniste s’est engouffrée en territoire syrien en s’emparant d’un large pan de 252 km2 qu’elle a transformé en « zone tampon ». Pis encore, Tsahal a lancé quelque 300 raids aériens en Syrie en deux jours détruisant toutes les bases aériennes, des dizaines d’avions et d’hélicoptères stationnés au sol ainsi que de nombreux bâtiments de la Marine syrienne au large du port de Lattaquié. Des batteries de défense aérienne, des chars, des véhicules blindés, des unités de production et des sites de stockage d’armes ont été également anéantis. En roue libre et n’étant confrontée à aucune résistance, l’armée sioniste s’est adonnée en somme à cœur joie pour décimer de fond en comble l’armée syrienne comme dans une fête foraine. Et pour couronner le tout, un ordre a été donné par les dirigeants israéliens ou leurs affidés pour liquider les savants syriens. Le corps sans vie du Dr Hamdi Ismaïl Nada, l’un des plus éminents spécialistes de la chimie organique en Syrie, a été ainsi découvert il y a deux jours dans son domicile. Son assassinat dans des circonstances mystérieuses a suscité une vive émotion dans les milieux scientifiques et académiques.
Impression du déjà-vu ? Très certainement. Le scénario réalisé en Irak lors de la chute de Saddam Hussein a été réédité de toute évidence en Syrie avec les mêmes ingrédients, les mêmes mises en scène, pathétiques et théâtralisées, les mêmes assassinats ciblés de savants, les mêmes statuts déboulonnées et décapitées par une foule en liesse et traînées par un véhicule. Absolument tout ce qui s’est passé il y a quelques années à Bagdad a été systématiquement reproduit ces derniers jours à Damas. Les scripts de ce scénario loufoque et de bas étage où le complot et la trahison font bon « manège », se sont tout simplement contentés de changer de décor. Un tout petit peu mais pas trop, histoire de ne pas dépayser les téléspectateurs.
Que font entretemps les « courageux combattants de la liberté » de chez Hayat Tahrir Al-Cham au moment où leur pays se fait tailler en pièces ? Eh bien, ils se contentent de danser et chanter autour du totem rouillé de Hafedh Al Assad jusqu’au petit matin, laissant l’armée sioniste faire son travail de sape et de destructions massives sans être dérangée le moins du monde. Joulani, le « vénéré » chef du groupe islamiste « libérateur », est trop occupé pour accorder de l’importance à ces « menus détails ». Très sollicité par les journalistes de chez CNN et des médias occidentaux qui jouent des coudes pour décrocher une interview avec sa majesté, il n’a pas le temps de penser à ce qui se passe de désastreux, sous son nez et sa barbe et à quelques encablures de son nouveau quartier général. On ne mord pas la main qui nous nourrit, dit un vieil adage, et Joulani n’est certainement pas le genre de type ingrat. Au fond de lui-même, il sait qui l’a armé, rémunéré, nourri, blanchi, intronisé et pour quel objectif. Il ne peut, par conséquent, que récompenser ses bienfaiteurs pour leur générosité. Cela s’appelle retour sur investissement ou renvoi de l’ascenseur à l’envoyeur. Tout est question d’intérêt partagé en somme. En réalité, Joulani fait comme la Nounou de « Am » Hédi. Il déroule le tapis rouge à la souris sioniste et se contente de jouer le rôle qu’on lui a assigné d’avance, à savoir la marionnette attitrée d’un tragique sitcom actuellement au stade de finition qui promet de changer complètement le visage du Moyen-Orient. En permettant la destruction de son propre pays qu’il prétend avoir paradoxalement libéré, Joulani comble du miracle, est en passe de se refaire une nouvelle virginité : classé hier par les Etats-Unis et d’autres pays occidentaux sur la liste des terroristes les plus recherchés, il est considéré aujourd’hui, en guise de récompense, comme un « héros ». Comme quoi, le terrorisme aux yeux de l’Occident est une équation à géométrie variable. Bonne quand il sert, mauvaise quand il sort des rangs et s’avise à porter préjudice aux intérêts géopolitiques de ceux qui l’ont en réalité créé…
C.B.
Editorial : Nounou et la marionnette d’Al-Cham…
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