Par Hassan GHEDIRI
L’essentiel de la fraude fiscale s’effectue en Tunisie à travers de fausses factures. D’ailleurs, tous les experts-comptables pensent que la vraie fraude fiscale est la TVA...
Dans le monde de l’économie en Tunisie, toutes les discussions devraient tourner ces derniers jours autour de la TVA et du fisc. Car, à compter du 1er juillet 2025, prendra effet la nouvelle disposition de la Loi de finances 2025 relative à la facturation électronique. Il s’agit d’une réforme majeure, inscrite dans le programme de digitalisation du système fiscal tunisien, et visant à lutter contre la fraude et à garantir une meilleure traçabilité des transactions commerciales.
Face à la prolifération de la fraude fiscale, les autorités fiscales du monde entier adoptent de plus en plus la facturation électronique comme mesure stratégique pour combattre ce fléau, qui représente un manque à gagner incalculable pour leurs économies. De nombreux pays mettent ainsi en œuvre des modèles de contrôle continu des transactions, permettant un traitement et une vérification en temps réel ou quasi réel. C’est le cas notamment de l’Union européenne à travers le projet «TVA à l’ère numérique», qui vise à dématérialiser totalement le système de taxe sur la valeur ajoutée. Rien qu’en 2024, la fraude à la TVA dans l’UE a été estimée à 89 milliards d’euros.
La Tunisie, elle, s’est engagée dans cette voie depuis 2016, en reconnaissant pour la première fois à la facture électronique la même valeur légale et fiscale qu’une facture papier. La loi de finances 2025 vient donc consolider cette orientation en rendant la facturation électronique obligatoire à partir du 1er juillet 2025 pour plusieurs secteurs, notamment ceux jugés à haut risque en matière de dissimulation fiscale.
Un manque à gagner colossal
D’après les chiffres officiels, le PIB de la Tunisie en 2024 a été de 180 milliards de dinars (MD). Pourtant, les recettes fiscales provenant de la TVA, qui est l’un des principaux piliers du système fiscal tunisien, n’ont atteint que 7,1 MD, alors qu’elles auraient dû rapporter beaucoup plus. En se référant à une estimation réalisée en 2015 par La Revue comptable et financière (une publication spécialisée dans les domaines de la comptabilité et de la finance en Tunisie), l’écart entre la TVA théorique et la TVA effectivement encaissée permet de mesurer la fraude réelle. Ainsi pour l’année 2024, et en tenant compte des exportations (63 MD), des importations (88 MD), des investissements déductibles (15 MD) et de la part du PIB exonérée (estimée à 30 %), la base taxable avoisinerait les 136 MD
En appliquant le taux moyen de TVA de 13%, la recette théorique nette aurait, donc, dû être de 13,64 MD. Cela laisse apparaître un manque à gagner de 6,54 milliards de dinars, soit près de 48% de la TVA théoriquement due. Ce taux de fraude est trois fois supérieur à la moyenne européenne, et reflète l’ampleur du recours aux ventes sans factures, aux fausses déclarations, ou encore à la sous-déclaration du chiffre d’affaires. Il traduit également le poids écrasant de l’économie informelle, qui représente plus de 40% de l’activité économique du pays, selon certains experts.
En rendant la facturation électronique obligatoire, l’État tunisien adopte une mesure décisive susceptible de réduire la fraude, d’élargir l’assiette fiscale réelle et de rééquilibrer la charge entre contribuables honnêtes et fraudeurs.
Mais pour que cette réforme porte ses fruits, elle devra s’accompagner de moyens techniques et humains suffisants, À l’heure où le pays cherche à redynamiser l’investissement et à consolider ses finances publiques sans alourdir davantage la pression fiscale, la lutte contre la fraude à la TVA constitue une piste très prometteuse. Et l’obligation de facturation électronique, si elle est bien appliquée, marquera une étape décisive dans l’instauration de la justice fiscale.
H.G.