Par Myriam BEN SALEM-MISSAOUI
De 110 000 en 2014 à seulement 78 500 en 2023, le nombre de mariages est en net recul en Tunisie. S’agit-il d’un changement au niveau des modèles sociaux ou d’autres contraintes qui empêchent les jeunes à convoler en justes noces ?
Se basant sur les chiffres de l’Institut national de la statistique (INS), le président de la commission des finances et du budget à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), Abdeljalil El Hani, a tiré la sonnette d’alarme en indiquant que le nombre de contrats de mariage a chuté de 100 110 en 2014 à 78 500 en 2023, soit une baisse de 30 % en moins d’une décennie. « Cela a un coût démographique assez important puisque le dernier recensement de la population a montré que la tendance est pour le vieillissement de la société tunisienne », a-t-il souligné. Mais pourquoi cette réticence croissante envers le mariage ?
Pour les spécialistes, deux raisons majeures expliquent cette réticence, à savoir les difficultés économiques et l’évolution de mœurs. C’est du moins l’avis de la spécialiste en sociologie et membre de l’Association internationale de défense des droits de l’Homme et des médias, Mariem Letaiem, qui nous a confié : « Le mariage coûte très cher en Tunisie et accompagné du taux élevé du chômage chez les jeunes, c’est le principal facteur qui, à mon avis, explique ce recul du nombre de mariages et la réticence des jeunes envers l’union sacrée».
Dans une étude élaborée par les deux chercheurs France Guérin-Pace et Hassène Kassar, on aboutit, également, au même constat. Dans les sociétés maghrébines, on est passé, justement, en quelques décennies, d’un mariage précoce et imposé par les familles à un mariage tardif pour lequel le choix du conjoint devient plus libre. Par ailleurs, quel que soit le pays, l’âge moyen au mariage a reculé de près de 10 ans en moins d’un demi-siècle. En Tunisie, l’âge du premier mariage est passé ainsi, entre 1966 et 2014, de 21 ans à 29 ans pour les femmes et de 29 à 33 ans pour les hommes ». Cela, par ailleurs, a un coût notamment au niveau démographique.
Célibat et vieillissement …
La même étude montre qu’en dépit d’un accroissement du célibat au sein des jeunes générations, les évolutions n’ont pas été similaires selon les caractéristiques individuelles. Ainsi, le niveau d’études a une incidence notable sur le fait d’être célibataire à un âge donné. Parmi les femmes diplômées du supérieur, la part des célibataires de moins de 36 ans est plus importante. Au-delà de cet âge, les effets du niveau d’études sont moins sensibles, puisque la quasi-totalité des femmes sont mariées. On observe cependant une proportion un peu plus élevée de femmes célibataires chez les plus de 45 ans diplômées du supérieur. Pour les hommes en revanche, le niveau d’études n’a pas d’incidence avant 26 ans, puisque la quasi-totalité d’entre eux sont célibataires à cet âge. Entre 26 et 35 ans, les écarts selon le niveau de diplôme sont moins marqués que pour les femmes mais le sont davantage pour la classe d’âge 36-45 ans, traduisant une propension plus forte à rester célibataire pour les plus diplômés.
Pour notre spécialiste Mariem Letaiem, ce taux élevé du célibat est aggravé par le faible taux de natalité chez les couples mariés. « Du coup, on assiste à un phénomène assez critique, en l’occurrence le vieillissement de la société. Ce phénomène, amorcé depuis longtemps, devrait atteindre 17% de la population d'ici 2029. Ce vieillissement a des implications importantes sur les plans social et économique, notamment en termes de systèmes de retraite et de santé, ainsi que sur la croissance économique ».
M.B.S.M.