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Le phosphate, moteur de la révolution des véhicules électriques : Le Maroc l’a fait, pourquoi pas la Tunisie?

Par Hassan GHEDIRI

Ressource précieuse mais dramatiquement sous-exploitée, le phosphate tunisien végète encore dans la production d’engrais et manque de tirer profit de la révolution qui s’appelle mobilité électrique.

Longtemps relégué au rang d’intrant agricole, le phosphate est aujourd’hui en train de devenir un composant stratégique dans la fabrication des batteries lithium-fer-phosphate (LFP), qui s’imposent comme le cœur battant de la prochaine génération de véhicules électriques.
Et pendant que la Tunisie reste figée dans un modèle industriel dépassé, le Maroc avance à pas de géant. Grâce à un investissement massif de 2,2 milliards de dollars, le groupe chinois CNGR Advanced Material, en partenariat avec l’Office Chérifien des Phosphates (OCP), a inauguré, avant-hier 26 juin, une méga-usine à Jorf Lasfar. L’objectif: produire à partir de 2027 jusqu’à 40 mille tonnes de matériaux actifs pour batteries LFP, transformant ainsi les ressources locales en un produit à très haute valeur ajoutée.
Cette orientation vers le LFP est un choix stratégique. Contrairement aux batteries lithium-ion classiques à base de nickel et de cobalt, deux métaux coûteux, instables et problématiques sur le plan éthique, les batteries LFP utilisent du fer et du phosphate, disponibles en abondance et à prix stables. Ce modèle séduit de plus en plus les constructeurs automobiles, notamment en Europe, qui cherchent à réduire leur dépendance aux chaînes d’approvisionnement asiatiques tout en sécurisant leur transition énergétique.
Des géants comme Renault ou Volkswagen commencent d’ailleurs de transformer radicalement leur stratégie batterie. Renault, via sa filiale Ampere, prévoit par exemple de produire des véhicules électriques plus abordables en s’orientant vers les batteries LFP dès 2026. De son côté, Volkswagen annonce des investissements dans le LFP pour ses futurs modèles d’entrée de gamme, tandis que le groupe Peugeot, Fiat, Opel envisage une production européenne de batteries LFP pour alimenter son vaste portefeuille de véhicules électriques.
Cette ruée sur le LFP est motivée par la baisse des coûts, une durée de vie plus longue et la sûreté. Des facteurs déterminants pour démocratiser les véhicules électriques.
C’est donc une grande opportunité pour la Tunisie pour redémarrer son industrie de phosphore. Son positionnement à deux heures de vol des grands hubs industriels européens fait d’elle un futur fournisseur potentiel du LFP nécessaire pour équiper le parc électrique des grands constructeurs automobiles. Mais plutôt que d’exporter une ressource brute à bas prix, la Tunisie devrait miser sur la transformation locale, attirer des investisseurs spécialisés et insérer son phosphate dans la chaîne de valeur des batteries LFP destinées aux voitures électriques européennes.
Cette proximité géographique est un atout qui promet une meilleure compétitivité dans ce domaine par rapport au Maroc. Dans un contexte où l’Union européenne est de plus en plus tentée par la relocalisation de ses filières stratégiques, la Tunisie se présente comme une destination idéale pour investir dans la LFP.
Mais encore faut-il que les décideurs prennent conscience de l’enjeu. La CPG (Compagnie des Phosphates de Gafsa) continue à être minée par la mauvaise gouvernance et accablée par ses infrastructures vétustes. Le phosphate tunisien, pourtant reconnu pour sa qualité, dort sous terre, pendant que d’autres bâtissent des écosystèmes entiers autour de cette matière première. Il est urgent de repenser le modèle, structurer une filière industrielle intégrée, créer des partenariats avec les acteurs internationaux du secteur batterie et transformer une richesse géologique en levier stratégique pour le pays. Le Maroc montre que c’est possible. La Tunisie peut aller encore plus loin, si elle décide enfin d’agir. Dans la course mondiale aux batteries, notre place ne doit pas être celle du spectateur, mais un véritable générateur.

H. G.

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