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Editorial : Ne pas faire comme si cela n’allait pas arriver…

Par Hassan GHEDIRI

La Tunisie est encore loin de craindre une destruction massive des emplois à cause de l’automatisation du travail. C’est ce qu’on aime bien croire. Parce qu’avec une croissance presque au point mort et un chômage qui donne du fil à retordre à l’Etat, voir des milliers de cols blancs perdre leur travail pour grossir les rangs des sans-emplois en Tunisie serait une chose insupportable et très désagréable pour le gouvernement et pour l’économie du pays.

Peut-être, dira-t-on, que cela pourrait (et devrait) se produire dans des économies fortement intégrée dans les innovations technologiques et où l’automatisation des processus de production et de prestation de services est d’ores et déjà très avancée. D’ailleurs, les scénarios les moins alarmistes prédisent la disparition inéluctable de centaines de milliers d’emplois chaque année dans le monde à cause de l’IA.

Pendant que les grandes firmes technologiques investissent les milliards de dollars dans les serveurs de l’IA, les prédictions apocalyptiques se multiplient dans le monde du travail. L’automatisation accélérée des activités relevant jusque-là des compétences exclusives de certains opérateurs professionnels est derrière la baisse drastique des embauches, des licenciements ciblés et des réorganisations des tâches.


Aux Etats-Unis, les entreprises évoquent déjà l’IA pour justifier les bouleversements de leur mode de travail, où 50% des emplois des cols blancs pourraient disparaître au cours des cinq prochaines années faisant grimper, dans la foulée, le chômage de 10 à 20%. Bien sûr, ce qui se passe dans la première puissance économique dans le monde n’a rien à voir avec le marché du travail en Tunisie.

Pourtant, nous ne pouvons plus faire comme si cela n’allait pas arriver chez nous ou bien encore croire que cela ne pouvait se produire que dans vingt ou trente ans, au vu de l’immensité de l’écart entre les deux économies.  Mais, détrompons-nous, il semblerait que l’IA est en train de transformer le travail dans certains secteurs en Tunisie. Se faire remplacer par un modèle IA serait déjà une réalité pour certains salariés en Tunisie. Un début de bouleversement enclenché à l’intermédiaire des calls centers et les plateformes de télé-services. 

Après la sous-traitance de l’industrie en commençant par le textile au début des années 70 et plus tard les activités de montage et de fabrication de composants pour l’automobile et l’aéronautique, la Tunisie est devenue une destination incontournable des centres d’appels, traduction de l’anglais des «call-centers» apparus pour la première fois aux Etats-Unis au cours des années 60.

Ainsi, à partir des 1990-2000, des sociétés de télécommunications (téléphonie et internet), des banques et des compagnies d’assurance, essentiellement françaises, ont cédé petit à petit à la tentation de la délocalisation d’un nombre de leur prestation vers des plateformes de télé-service installées à l’étranger.

Tout comme la sous-traitance dans l’industrie qui s’est développée en raison des coûts de production très compétitifs, la délocalisation des prestations de services en Tunisie a été motivée par la réduction significative des coûts opérationnels avec des salaires et des charges sociales bien inférieurs à ceux des pays européens. Une réduction des coûts qui ne fait pas en même temps au détriment de la qualité au vu de la bonne qualification des ressources humaines.

Aujourd’hui, on estime à environ 50 mille le nombre d’emplois dans ce secteur. Les transactions dans ce secteur, étant orientées vers l’étranger, génèrent chaque année des revenus en devises qui se chiffrent à plusieurs centaines de millions de dinars. La même motivation de la réduction des coûts qui a incité de nombreuses grandes entreprises étrangères à délocaliser une partie de leurs prestations en Tunisie justifie aujourd’hui l’adoption de l’IA pour supprimer des emplois.

L’une des sociétés qui gèrent les portefeuilles clients des compagnies d’assurances installées en France et en Belgique a par exemple décidé de réduire de plus de 60% le nombre des opérateurs chargés des tâches répétitives pour les remplacer par des agents IA. Cela démontre l’urgence d’anticiper les transformations du marché du travail et n’attendre guère d’être frappés de plein fouet par une mutation qui, déjà, s’installe silencieusement.

H.G.

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