Par Hassan GHEDIRI
Les régions du Grand Tunis et du Sahel, plus attractives, parviendraient à maintenir une croissance moyenne de leurs populations grâce aux migrations internes, au détriment du reste du territoire…
Les résultats du recensement général de la population et de l’habitat (RGPH 2024) rendus publics le week-end dernier ne finiront pas de faire couler de l’encre. Il faut dire que les chiffres et graphiques que contiennent les 70 pages formant le rapport édité en deux langues par l’INS fournissent des ressources inestimables pour les chercheurs et autres spécialistes des domaines économique et social. Le RGPH offre l’opportunité de réfléchir sur les transformations démographiques et urbaines futures en tant qu’une aide précieuse à la prise de décision stratégique. Si rien ne change dans les politiques publiques, c’est-à-dire dans le modèle de développement économique dans son intégralité, le prochain recensement prévu dans une décennie (2034) risque de mettre au grand jour des disparités beaucoup plus aiguës. Les disparités seront amplifiées avec, d’un côté, des régions assez fortunées mais surpeuplées et sous pression en matière de logement, de mobilité, de santé et d’éducation, et de l’autre côté des territoires défavorisés, vieillissants de plus en plus désertés par les jeunes sans perspectives économiques. Ces déséquilibres se dégageant, d’ores et déjà, clairement du RGPH 2024, sont appelés à s’accentuer davantage au cours des années à venir en l’absence de réponses politiques d’envergure.
A l’heure actuelle, le nouveau recensement est venu confirmer les tendances démographiques ayant redessiné, peu à peu, au cours des deux dernières décennies, la carte du pays. Si la Tunisie compte aujourd’hui près de 12 millions d’habitants, le rythme de croissance démographique est le plus bas depuis l’indépendance, avec un taux annuel de seulement 0,87%. Un ralentissement accompagné d’un vieillissement de plus en plus soutenu avec près de 17% de la population âgée de 60 ans ou plus, contre seulement 11% il y a à peine une décennie. Dans le même temps, la proportion des moins de 5 ans chute au-dessous de 6%, soit un signe on ne peut plus clair de la baisse alarmante de la fécondité.
Déficits et privilèges
En fait, ces transformations ne se font pas sans avoir un effet sur la dynamique de mobilité de la population à l’intérieur du territorial national. Au moment où des régions affichent une croissance soutenue de la population, d’autres voient leur nombre d’habitants stagner voire décliner. Le phénomène de la migration interne où l’exode s’intensifie avec une concentration toujours plus marquée dans les zones côtières les plus «développées» allant du Grand Tunis jusqu’à Sfax en passant par Sousse et Monasir. De l’autre côté, de vastes régions de l’intérieur et du sud, comme Siliana et Le Kef, peinent à empêcher leur population de partir, notamment les jeunes. Les raisons de cette contradiction sont connues par tous : les régions qui attirent les flux de la migration interne concentrées sur le littoral ont depuis toujours été privilégiées par l’investissement national et étranger, ce qui leur a permis de profiter de meilleures infrastructures et de promettre par conséquent plus d’opportunités en matière de formation et d’emploi. La sous-industrialisation, la dégradation des services publics et la hausse du chômage alimentent un sentiment de marginalisation et se transforment en des facteurs de répulsion qui amplifient le phénomène de l’exode dans les autres régions. Cette dynamique ne se limite toutefois pas aux considérations économiques mais a tendance également à être de plus en plus impacté par le facteur climatique. Le changement climatique joue également un rôle croissant dans le déplacement des populations. La désertification, l’épuisement des nappes phréatiques, l’aridité croissante dans les zones sahariennes et semi-arides fragilisent les écosystèmes locaux. L’agriculture devient incertaine, et les conditions de vie se détériorent, poussant les populations à quitter des territoires de plus en plus vulnérables. Ainsi, l’environnement naturel devient un facteur de dépeuplement au même titre que le déséquilibre de développement.
Autant de défis qui exigent une réponse politique urgente. La volonté affichée par les autorités publiques de renverser la tendance et de créer une vraie dynamique de développement régional doit se traduire par une réorientation massive des investissements publics, un renforcement de l’accessibilité aux services de base, et une stratégie climatique cohérente pour protéger les populations menacées par la dégradation de leur environnement. Il est donc essentiel de donner plus de pouvoir aux collectivités locales, à travers une décentralisation, afin qu’elles puissent concevoir et mettre en œuvre des solutions adaptées à leur réalité.
H.G.