Par Imen Abderrahmani
L’Académie tunisienne des sciences, des lettres et des arts « Beït al-Hikma » proposera, les 11 et 12 de ce mois, un colloque ayant pour thème « De l’esclavage en Tunisie à son abolition et ses manifestations contemporaines ».
Cette rencontre vient à quelques semaines de la célébration de la proclamation de l’abolition de l’esclavage, le 23 janvier 1864 par Ahmed Pacha Bey. Ce colloque qui se tiendra sur deux jours explore la mémoire de l’esclavage, cherchant dans ses racines profondes comme dans ses traces persistantes dans la société contemporaine, réinterrogeant l’histoire et certaines pratiques, mettant l’accent sur ses répercussions sociales et culturelles qui résonnent encore aujourd’hui.
Le colloque s’articulera autour de quatre sessions scientifiques axées sur des approches novatrices sur des thématiques cruciales, abordées sous un angle historique, juridique, social et culturel. « Les Africains à la peau noire en Tunisie, leur présence au fil des siècles, leur représentation et leur rôle dans la société tunisienne » seront les premiers sujets à être explorés dans la première session. Des chercheurs de renom comme Jaafar Bennasr et Marwa Mernawi viendront partager leurs analyses sur les origines de cette présence, tout en questionnant les lectures eurocentriques de l’histoire précoloniale, en confrontant les archives et les données archéologiques.
Cette première session mettra également en lumière l’évolution de la pensée tunisienne à travers l’étude de Ahmed Bernaz (1664-1726), un penseur majeur qui a influencé la trajectoire historique menant à l’abolition de l’esclavage. Hayet Mejri abordera ce sujet avec son analyse de l’œuvre « Aalam al-Ayan », offrant ainsi une perspective intellectuelle essentielle pour comprendre la dynamique du changement de mentalité à l’époque. La clôture de cette première sera marquée par la projection d’un documentaire du réalisateur Hichem Ben Ammar.
Le deuxième volet du colloque s’intéressera à l’abolition légale de l’esclavage en Tunisie sous le règne d'Ahmed Bey en 1846. Ce décret historique, qui fut l’un des premiers en Afrique du Nord, fait l’objet d’une attention particulière. Salah Trabelsi proposera une réflexion sur le processus d’abolition de l’esclavage dans le Maghreb, tout en analysant les pressions extérieures qui ont joué un rôle déterminant dans cette décision. Des historiens comme Abdelhamid Henia et Moncef Ben Abdeljalil interrogeront les motivations politiques et intellectuelles derrière cet acte de souveraineté, ainsi que la manière dont il a été perçu par la population tunisienne à l’époque.
De cet héritage, parlons-y !
Dans la troisième session, les discussions porteront sur l’écart entre l’abolition légale de l’esclavage et les pratiques sociales qui ont perduré bien après 1846. Des chercheurs comme Yamina Ouni et Leïla Zaghdoud mettront en lumière les conséquences sociales et économiques de l’abolition. En s’intéressant notamment à l’expérience des libérés dans les oasis, comme l’exemple de l’oasis de Kébili, ces interventions souligneront l’impact de l’émancipation des esclaves sur les structures sociales de la Tunisie du XIXᵉ siècle.
Cette lecture historique, sociale et politique sera complétée par une lecture et une analyse des manifestations contemporaines de l’esclavage en Tunisie. Inès Reguiga analysera les héritages de la traite transatlantique dans la société tunisienne à travers la loi numéro 50, tandis que Mohamed Jouili s’intéressera aux enjeux symboliques et ethniques qui demeurent vivaces dans certaines régions de Tunisie, comme l’oasis d’El Menchiya.
Sur une note musicale se clôturera le colloque avec l’intervention de Rabah Arqoubi, qui abordera la musique Stambali, héritage direct des esclaves en Tunisie, et son rôle central dans la construction de l’identité culturelle tunisienne contemporaine. Symbole de la résilience des esclaves noirs tunisiens, cette musique continue à résonner dans tant de rendez-vous musicaux, devenant un véritable pont entre passé et présent, inspirant tant de musiciens.
Imen.A.
**L’expérience tunisienne de l’abolition de l’esclavage inscrite à l’UNESCO
L’UNESCO a inscrit la collection d'archives intitulée « L'abolition de l'esclavage en Tunisie 1841-1846 » au registre « Mémoire du monde » en 2017, reconnaissant ainsi l'expérience tunisienne pionnière d’abolition progressive de l’esclavage, notamment par le décret du Bey Ahmed Pacha en 1846, faisant de la Tunisie le premier pays arabo-musulman à franchir ce pas.
La collection d’archives « L’abolition de l’Esclavage en Tunisie 1841-1846 » est constituée du décret d’Ahmed Pacha Bey (1837-1855) promulgué au mois de janvier 1846, de circulaires, de correspondances, d’actes notariés et de registres fiscaux conservées aux Archives nationales de Tunisie.
Ces documents datant de la fin de la première moitié du 19e siècle permettent de mettre en relief plusieurs étapes ayant menées à l’abolition officielle de l’esclavage, passant de la fermeture des marchés aux esclaves, la suppression des impôts perçus par l’Etat à ce titre, l’affranchissement des enfants nés de familles d’esclaves et de tous les esclaves entrant en Tunisie à son abolition définitive.

