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La chronique de Soufiane Ben Farhat : Tunisie - La culture en péril, les mafias prospèrent

Quelqu’un a dit un jour : “La culture, c’est ce qui reste quand on a tout oublié”. Et Dieu sait que des civilisations et des hommes révolus, il ne reste que la culture sous ses différentes manifestations et déclinaisons, y compris la science.

Sous nos cieux, le constat s’impose. La culture est en péril. Et je ne parle pas des vestiges et des monuments. Un rapport transmis en 2015 au ministre de la Culture d’alors regorge de données factuelles à proprement parler effarantes. Entre autres pépites, on y apprend que su les plus de trente mille sites dont regorge la Tunisie, seulement quarante-sept monuments, sites et musées étaient exploités par l’Agence de mise en valeur du patrimoine et de promotion culturelle ! Idem des neuf sites tunisiens inscrits au patrimoine mondial par l’Unesco. Certains d’entre eux sont dans un état de délabrement injustifiable.

Je parle en revanche de la culture de création et des spectacles. L’actuelle session de la Foire internationale du livre de Tunis interpelle les interrogations sur l’industrie et la propagation du livre. Session falote à plus d’un titre, elle traduit le dépérissement graduel d’un secteur qui n’était pas déjà si florissant que ça. Certes, le livre subit une grave crise ici comme ailleurs, due notamment à l’irrésistible irruption du numérique. Mais de là à dégringoler vertigineusement, il y a une différence majeure. Et puis partout on s’ingénie à y parer au plus pressé, ce qui est loin d’être le cas chez nous.

 

La culture, éternel parent pauvre

J’ai toujours soutenu et ressassé intentionnellement et à tout vent, preuves à l’appui, que la Tunisie est une superpuissance culturelle. Pourtant, le gisement culturel demeure en friche. Quand on sait que le budget du ministère des Affaires culturelles ne représente pour l’année en cours que 0,69% du budget général de l’Etat, on comprend l’étendue du désastre. Quant au secteur privé, il est bien négligeable. A la base, la culture est le dernier des soucis des gouvernants et des décideurs économiques, elle officie en creux comme l’éternel parent pauvre en somme.

A titre comparatif, en France, le cabinet EY (ex-Ernst & Young) a été mandaté il y a quelques années pour réaliser une étude inédite : mesurer le poids des industries culturelles en France, que ce soit au niveau du PIB ou de leur contribution à l'emploi. L’étude a donné des résultats édifiants rapportés par le journal Les Echos. Résumons. Au total, les industries culturelles françaises pesaient près de 75 milliards d'euros de chiffre d'affaires (2,8 % du PIB) et représentaient plus de 1,2 million d'emplois (5 % de l'emploi en France). Ainsi, la culture pesait-elle plus lourd que l’industrie du luxe, l'automobile ou les télécommunications et se classait au cinquième rang des secteurs français. En prenant seulement en compte son impact direct (61 milliards d'euros de chiffre d'affaires), elle se situait à la huitième place économique, entre l'automobile (59 milliards d’euros) et la chimie (62 milliards d’euros). Qui dit mieux ?

Chez nous, hélas, à la faiblesse structurelle, se greffe l’insoutenable crise actuelle. En fait, depuis la révolution de 2011, le secteur culturel, déjà en crise, a enregistré une véritable chute libre. Il en est réduit aujourd’hui, hélas, à sa portion infinitésimalement minuscule et incongrue.

Qu’il s’agisse des arts visuels et plastiques, de la littérature ou des arts de la scène, théâtre, cinéma, danse, musique et chanson pour ne citer que ceux-là, c’est le même topo.

 

Détresse en profondeur

D’ailleurs, les festivals, nominalement si nombreux, traduisent on ne peut mieux cette détresse en profondeur. Les festivals d’été végètent, les Journées cinématographiques et les Journées théâtrales de Carthage (JCC et JTC) périclitent. Elles ont perdu la passion de l’élan fondateur autant que l’élévation, l’aura prestigieux, le label référentiel et les beaux atours. Les journées de musique et le festival de la chanson ne sont pas en reste. Elles se réduisent depuis quelque temps à des cérémonies pompeuses sans contenu véritable, autant dire des coquilles vides.

Quant aux créateurs, acteurs, producteurs et notamment aux intermittents du spectacle, ils se prolétarisent et se raréfient au fil des jours. Certains d’entre eux, et des plus illustres, sont devenus de véritables cas sociaux.

Les maisons de la Culture sont presque toujours fermées. Nouveaux horaires incompatibles avec la pratique culturelle obligent, en sus des revendications corporatistes et des tracasseries administratives et bureaucratiques.

Il faut dire que les politiciens qui ont investi la place et tiennent le haut du pavé sont particulièrement incultes. Ils ne se contentent guère d’un surinvestissement politicien au bout du compte banal et contreproductif. Ils se soucient de la culture comme d’une guigne. Ils se greffent sur l’absence anthropologique et historique d’une bourgeoisie digne de ce nom, pétrie de culture et promotrice des arts. Mais ce n’est pas tout. Les crises du Covid-19 et les contrecoups de la crise des guerres en Ukraine et à Gaza ont achevé de refermer le cercle infernal.

Aujourd’hui, et je parle en connaissance de cause, monter un spectacle ou promouvoir un projet culturel relèvent de la gageure. Et, bien évidemment, une foule de mafieux et de corrompus se sont davantage immiscés dans le secteur de la culture à la faveur de la crise désormais pérenne. Ils continuent à capter les dignités et doubler d’astuces et subterfuges pour accaparer les financements et les ressources de promotion des arts. Des réseaux bien structurés, connus de tous, se partagent le gâteau en toute impunité, moyennant l’appui de fonctionnaires véreux.

La culture c’est ce qui reste quand on a tout oublié dit-on, n’est-ce pas ? J'ajouterais que les mafias sont légion là où la culture est escamotée.

S.B.F

 

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