Par Myriam BEN SALEM-MISSAOUI
Alors que l’on se dirige vers l’adoption d’une loi pour protéger les dénonciateurs, ces derniers sont toujours le maillon faible de cette guerre contre la corruption… Que faire pour mieux protéger les lanceurs d’alerte?
Même si, en Tunisie, la protection des dénonciateurs de corruption est garantie par la loi organique n° 2017-10 du 7 mars 2017, relative au signalement des faits de corruption et à la protection des lanceurs d’alerte, il n’en demeure pas moins que la dénonciation ne draine pas la foule. En cause, les multiples exactions dont ont été victimes ces lanceurs d’alerte, notamment au cours de la dernière décennie.
Justement, la commission parlementaire chargée de l’organisation de l’administration, de la gouvernance et de la lutte contre la corruption a entamé l’examen d’un projet de loi visant à amender la loi organique n°10-2017 relative au signalement des faits de corruption et à la protection des lanceurs d’alerte. Soumis par quinze députés, ce projet vise à «restaurer un cadre juridique fonctionnel pour favoriser le signalement d’abus et garantir aux lanceurs d’alerte une protection effective».
C’est aussi la volonté du chef de l’Etat qui, en rencontrant le 16 juin la cheffe du gouvernement, Sarra Zaâfrani Zanzri, a abordé cette question, insistant au passage sur l’importance de la poursuite de la lutte contre la corruption et les corrompus. Le chef de l’Etat a laissé entendre lors de cette rencontre qu’il est important aussi d’assurer aux dénonciateurs et aux lanceurs d’alerte la protection juridique et sécuritaire.
A noter qu’à l’occasion d’un séminaire organisé à Tunis, visant à présenter les résultats des actions du ministère en matière de lutte contre la violence et de promotion des droits humains, le directeur général de la cellule de bonne gouvernance du ministère de l’Intérieur, Sami Hamdi, a insisté sur «la nécessité de réviser et d’améliorer certains aspects de la loi n°10 relative au signalement des faits de corruption et à la protection des lanceurs d’alerte pour renforcer l’efficacité de la protection des dénonciateurs, en adéquation avec les normes internationales».
En effet, des lanceurs d’alerte se sont rassemblés au mois de février dernier devant le Théâtre municipal de Tunis pour dénoncer «le harcèlement et les pressions qu’ils subissent sur leurs lieux de travail». Ces actes de représailles font suite à leur révélation de dossiers mettant en lumière des cas de «corruption» et de «manipulations administratives ou financières».
Paradoxe…
Dans une déclaration à l’agence TAP, Mohamed Ali Ayari, lanceur d’alerte ayant dénoncé des actes de corruption administrative et syndicale au sein de la Société Tunisienne de Sidérurgie (Elfouladh), a témoigné de son expérience. Ayari a confié que «de nombreux dossiers de corruption restent inexploités, les dénonciateurs hésitant à les révéler par manque de confiance en leurs administrations respectives». Et d’ajouter : «Nous subissons des accusations malveillantes, des intimidations, et même des menaces de mort. Mais nous ne reculerons pas. Nous continuerons à soutenir les efforts du pouvoir et du président de la République dans la lutte contre la corruption».
Pour l’activiste Rached Ben Hcine : «En plus des menaces, plusieurs lanceurs d’alerte ont perdu leurs emplois et d’autres ont été poursuivis en justice pour diffamation. Certains responsables qui ont été dénoncés par les lanceurs d’alerte ont ainsi usé de leur pouvoir pour licencier, menacer et même attaquer en justice leurs dénonciateurs. Il est, alors, temps de revoir la loi N°10 afin de mieux protéger les dénonciateurs de la corruption d’autant que lors de la dernière décennie, les noms de certains lanceurs d’alerte ont été divulgués aux suspects eux-mêmes. Cette révision de la loi doit s’inscrire dans un cadre juridique qui vise à établir des procédures de signalement et des mécanismes de protection pour promouvoir la transparence, l’intégrité et la bonne gouvernance, tout en luttant contre la corruption dans les secteurs public et privé ».
M.B.S.M.