Par Myriam BEN SALEM-MISSAOUI
Avec 25,4 milliards de cash, la Tunisie est l’un des pays les plus exposés aux effets pernicieux de l’importante planche à billets en circulation. Comment expliquer cette explosion de l’argent en liquide et quel est son impact sur l’économie ?
Avec un pourcentage de 47%, le cash consolide sa prédominance comme le principal moyen de paiement en Tunisie. Pourtant, lorsqu’en février dernier, la nouvelle loi relative aux chèques est entrée en vigueur, les spécialistes estimaient que « l’un des principaux objectifs des législateurs était précisément la modernisation des échanges commerciaux, vers davantage de numérisation et de recours aux paiements électroniques».
Selon, en effet, une enquête publiée le 27 mai dernier, par l’Institut arabe des chefs d’entreprise (IACE) : « Avant la mise en application de la nouvelle réglementation sur les chèques, les paiements scripturaux étaient dominés par le virement bancaire, suivi du chèque, puis du prélèvement automatique et enfin de la lettre de change. le classement des paiements scripturaux s’est inversé aujourd’hui. Ainsi, les lettres de change et les virements (16%) partagent, désormais, la première place, devant la carte bancaire (14%), le nouveau chèque (7%) et la domiciliation (0,4%) ». Pour l’IACE, « ce changement témoigne d’un bouleversement des habitudes de paiement scriptural suite à la réforme ». Quel est, de fait, l’impact de l’explosion du cash sur l’économie tunisienne ?
Pour l’expert en économie et en finance, Mohamed Salah Jennadi : « L’Etat est le premier perdant avec un manque à gagner fiscal colossal. L’explosion des transactions en espèces favorise, en effet, l'évasion fiscale et prive ainsi l'État de recettes importantes ». Et d’ajouter : «Cette tendance entraîne, également, des défis significatifs, notamment l’augmentation du risque de fraude et de blanchiment de capitaux, ainsi qu’une prévalence accrue de l’économie informelle voire l’atténuation de la baisse des comptes à terme, le ralentissement de la croissance des dépôts à vue et l’accentuation du repli des détentions en titres monétaires ».
Investissements freinés
Zakaria Garti, analyste économique et financier, estime que « cette thésaurisation prive l’économie de financement, ce qui se traduit par un déficit de liquidité bancaire de plus en plus important. Ainsi, le cash n’est pas uniquement injecté dans l’économie, mais est en grande partie thésaurisé. Du coup, la monnaie fiduciaire est non transactionnelle ». C’est aussi l’avis de l’expert Mohamed Salah Jennadi qui nous a indiqué : « Une étude récente publiée par le centre de recherche CAIRN. INFO, a montré que le numéraire serait coûteux, inefficace et dépassé. En second lieu, il faciliterait l'activité criminelle, le blanchiment d'argent et la fraude fiscale. Enfin, il limiterait la possibilité, pour la politique monétaire, d'abaisser les taux d'intérêt nominaux dans la zone négative pour lutter contre les récessions et la déflation. Cela est de nature à éroder l'épargne et entraîne une mauvaise allocation des ressources et des bulles sur les prix des actifs. Cette étude a, également, révélé l'utilisation du numéraire, crée des coûts considérables pour les banques centrales émettrices, les banques commerciales distributrices, les commerçants (temps de manipulation, coût de la sécurité), les consommateurs (déplacements pour s'approvisionner en liquide, risques de vol, etc.) et les Etats (coût de l'évasion fiscale et d'autres délits). Certains de ces coûts sont explicitement facturés : par exemple, les banques centrales font payer aux banques commerciales la logistique liée au numéraire, les commerçants paient les banques pour la gestion de leurs dépôts en liquide, les clients paient, dans certains pays, pour les retraits d'espèces. Alors, c’est à l’Etat d’intervenir pour pousser les banques à améliorer les modes de paiement électronique, les virements et les lettres de crédits tout en soutenant le consommateur et l’aider à préserver son pouvoir d’achat».
M.B.S.M.