Par Imen Abderrahmani
Sur une note amère s’est achevée la 36ème édition des Journées cinématographiques de Carthage (JCC), suscitant de nombreuses questions sur des changements de dernière minute, ouvertement condamnés par le jury.
Que s’est-il réellement passé ? Qui a décidé d’écarter le jury de la scène lors de la cérémonie de clôture ? Qui est à l’origine de ce coup dur porté à une manifestation cinématographique historique ? Et comment expliquer une soirée de clôture sans âme, déconnectée de l’esprit des JCC ? Où étaient les invités du festival, les artistes tunisiens, les cinéphiles fidèles ? Comment comprendre ces rangées de sièges vides ?
Autant de questions qui ont plané sur une cérémonie de clôture décevante, en total décalage avec une semaine pourtant riche, rythmée par de très bons films. Une semaine qui laissait entrevoir un nouvel élan pour un festival appelé à célébrer, en 2026, sa 60ᵉ édition.
« Le samedi matin, nous avons reçu un appel des JCC nous informant que les films lauréats seraient annoncés et présentés par des personnes autres que les membres du jury. Surpris -cette pratique étant très inhabituelle dans les festivals internationaux- nous avons refusé cette proposition. Il convient de préciser que, tout au long de ce processus, les JCC ont joué un rôle de relais et de soutien, transmettant nos préoccupations de bonne foi et maintenant le dialogue avec nous. Les décisions finales concernant le format de la cérémonie ont toutefois été prises à un niveau institutionnel et administratif dépassant l’autorité directe et la seule discrétion du festival », lit-on dans la déclaration du grand jury.
Toujours en se référant à ce texte, e jury explique avoir proposé une solution de compromis permettant aux invités de remettre les prix, tandis que les membres du jury présenteraient leurs motivations. Après avoir été assurés lors d’une répétition qu’ils étaient libres de procéder ainsi, ils ont été informés, peu avant la cérémonie, que cette décision était annulée et que leurs motivations ne seraient pas lues. Malgré plusieurs tentatives de dialogue restées sans réponse, le jury a finalement décidé, à l’unanimité, de ne pas assister à la cérémonie de clôture. Il justifie cette absence par un souci de principe, estimant que marginaliser la voix du jury porte atteinte à l’intégrité, à l’éthique et à la crédibilité même du festival.
Qui est à l’origine de cette décision précipitée et dénuée de discernement, qui porte atteinte à la crédibilité du festival ? Qui cherche à réduire au silence les voix des cinéastes dans une manifestation historiquement engagée en faveur de la Palestine et des causes justes ? Qui s’emploie à fragiliser l’un des derniers remparts de la culture ?
Identité et intégrité
La direction de la 36ᵉ édition, tout comme le Centre national du cinéma et de l’image (CNCI) et, bien sûr, le ministère de tutelle-le ministère des Affaires culturelles- ont choisi le silence. Un silence qui fait office de communication, et dont la portée est lourde de sens.
À cette absence lourde du jury, qui a plongé la salle dans une atmosphère glaciale, s’est ajoutée une présence pour le moins incompréhensible : celle de l’artiste Lina Chamamyan. Pourquoi faire appel à cette chanteuse alors que la scène nationale regorge de talents et se distingue par sa richesse et sa diversité musicales ? S’agissait-il d’un choix dicté par ses origines arméniennes, en écho au focus consacré au cinéma arménien ?
Pourquoi le concepteur de la soirée n’a-t-il pas envisagé des voix tunisiennes telles que LobnaNooman, DorsafHamdani, Raoudha Abdallah, Hassan Doss, BoutheinaNabouli, Lina Ben Ali- et la liste est encore longue-autant d’artistes et de formations capables d’animer cette soirée avec justesse et éclat ?Au final, cette erreur du casting a privé la soirée de l’âme et de la chaleur qu’elle aurait méritées.
Cette soirée de clôture restera gravée comme un exemple de ce qui peut mal tourner quand protocoles et décisions administratives étouffent la vie d’un festival. Les JCC restent un joyau du cinéma arabe, mais cette édition rappelle que même les institutions les plus respectées doivent protéger l’intégrité et la voix de leurs artistes. A bon entendeur !
Imen. A.
Palmarès de la compétition officielle des 36ᵉ JCC
■ Longs métrages de fiction
Tanit d’or : « The Stories » d’ AbuBakrShawky (Égypte)
Tanit d’argent : « MyFather’s Shadow » d’Akinola Davies Jr (Nigéria)
Tanit de bronze : « Sink » de Zain Duraie (Jordanie)
Prix d’honneur du jury : « The Voice of HindRajab » deKaouther Ben Hania (Tunisie)
Prix du public : « Where the Wind ComesFrom » de AmelGuellaty (Tunisie)
Prix du meilleur scénario : Amel Guellaty pour« Where the Wind ComesFrom » (Tunisie)
Meilleure interprétation féminine : SajaKilani pour« The Voice of HindRajab » (Tunisie)
Mention spéciale : L’actrice Debora Lobe Naney –film « PromisedSky » (Tunisie)
Meilleure interprétation masculine : NawwafAldaferi pour « Hijra » (Arabie saoudite)
Mention spéciale : L’acteur Hussein RaadZuwayr pour « Erkalla, le rêve de Gilgamesh » (Irak)
Prix du meilleur décor : Assem Ali pour « MyFather’sScent » (Égypte)
Prix du meilleur montage : Guillaume Talvas, Diya (Tchad)
Prix de la meilleure image : Miguel IoannLittinMenz pour « Hijra » (Arabie saoudite)
Prix de la meilleure musique : Afrotronix, pour« Diya » (Tchad)
■ Longs- métrages documentaires
Tanit d’or : « LitiLiti » de Mamadou Khouma Gueye (Sénégal)
Tanit d’argent : « The Lions by the River Tigris » de Zaradasht Ahmed (Irak)
Tanit de bronze : « On the Hill » de BelhassenHandous (Tunisie)
Mention spéciale : « Notre Semence » de AnisLassoued (Tunisie)
■ Courts- métrages (fictions et documentaires)
Tanit d’or : « 32 B » de Mohamed Taher (Égypte)
Tanit d’argent : « Coyotes » de SaidZagha (Palestine)
Tanit de bronze : « She’sSwimming » de Liliane Rahal (Liban)
Mentions spéciales :
« Le Fardeau des ailes » de Rami Jarboui (Tunisie)
« Café ? » deBamar Kane (Sénégal)
■ Compétition Première œuvre
Prix Tahar Chériaa : « MyFather’s Shadow » de Akinola Davies Jr (Nigéria)
Prix TV5 Monde : « Cotton Queen » de SuzannahMirghani (Soudan)
■ Ciné-Promesse
Prix : « Pierre-Feuille-Ciseaux » de Cherifa Benouda (Tunisie)
Mentions : « Was Never HerChoice » deMargueritaNakhoul (Liban)
« Chercher Abbas Saber » de Dina Hassan Aboelea (Égypte)

