contactez-nous au 71 331 000
Abonnement

Actuellement sur nos écrans, « L’effacement » de Karim Moussaoui : Un cri silencieux d’une génération oubliée

Par Imen ABDERRAHMANI

Radioscopie percutante de la société algérienne contemporaine, «L’effacement» du réalisateur algérien Karim Moussaoui s’interroge sur l’identité, la mémoire nationale et le conflit intergénérationnel. Le film est actuellement dans nos salles de cinéma.

Le film s’ouvre sur une Algérie encore marquée par le poids de son passé glorifié, celui de la guerre de libération, qu’elle continue de sacraliser à travers ses figures héroïques.
Mais cette vénération s’accompagne d’un revers : une jeunesse marginalisée, parfois étouffée, écrasée par le poids de l’héritage et le silence imposé.

Karim Moussaoui se révolte contre toute une société qui ne fait qu’écraser l’individu au nom du père, au nom de la patrie… Une société qui continue à sacraliser son passé et à tourner son dos à son présent, à ses nouveaux héros.

Comme dans ses précédents films – des courts-métrages tels que « Rachida » ou « Les Jours d’avant », ou encore son long-métrage « En attendant les hirondelles » – Karim Moussaoui poursuit, avec « L’effacement », son exploration lucide et sensible de la société algérienne. Il dépasse les apparences et les discours officiels pour sonder les failles d’une Algérie contemporaine, où l’intime, notamment celui de la jeunesse, entre en tension avec les récits glorifiés du passé. Une jeunesse qui porte en elle d’autres rêves, d’autres aspirations, souvent étouffés par un héritage trop lourd à porter.

Projeté dans la compétition officielle des Journées cinématographiques de Carthage (JCC), le film a décroché le prix de la meilleure interprétation masculine, attribué à Sammy Lechea pour son rôle de Réda.

Le face-à-face de deux générations

Adapté librement du roman éponyme de Samir Toumi, le film s’articule en deux temps. Dans un premier acte, il dresse le portrait de deux générations : celle des pères, anciens combattants devenus figures d’autorité rigide, bâtisseurs du pays et garants d’un ordre hérité de l’indépendance ; et celle des fils, blessés, écrasés, en quête de sens et de liberté.

Le personnage central, Réda, incarne cette génération de l’après-indépendance. Trentenaire, issu de la bourgeoisie, il vit toujours chez ses parents. Son père, ancien moudjahid froid et autoritaire, qui dirige une société d’hydrocarbures, a décidé de placer Réda à un poste stratégique qui ne correspond pas à ses diplômes et ses compétences. Dans ce passage, le réalisateur évoque certaines pratiques persistantes telles le népotisme dans l’accès à l’emploi.

Pour Réda, fils d’un ancien combattant, tout est bien ordonné dans sa vie, tout est minutieusement tracé par le père : mariage arrangé, avenir prédéfini. Mais sous cette façade de réussite se cache une profonde crise identitaire. Il est à noter que Réda n’est pas un fils unique. Il a un frère. Fayçal, un rebelle qui aime la musique et qui profite de temps à autre de l’absence du père pour organiser des galas…

Lorsque les bouleversements politiques (référence directe au Hirak, les manifestations populaires de 2019 à 2021) éclatent, Réda a été écarté de son travail et enrôlé dans le service militaire, alors l’ordre établi s’effondre. Livré à lui-même, confronté à la violence institutionnelle et familiale, Réda sombre. La mort de son père, puis son agression au sein de l’armée agissent comme des déclencheurs.

La deuxième partie du film s’oriente alors vers la révolte : celle d’un homme qui cherche à exister en dehors du regard de son père, en dehors des normes sociales. Réda passe d’un état de soumission totale à une spirale de violence. Il devient le symbole d’une jeunesse en crise, en quête de reconnaissance et d’une place dans une société qui ne sait plus lui parler.

De cette identité perdue …

Le film prend une tournure symbolique et troublante lorsque Réda, incapable de se reconnaître dans un miroir, couvre celui-ci d’un drap. Est-ce une perte de repères ? Une crise psychologique ? Ou une métaphore puissante : à force qu’on lui dicte sa vie, Réda a cessé d’exister pour lui-même ? Karim Moussaoui laisse au spectateur la liberté d’interprétation.

L’apparition d’une restauratrice quadragénaire vient apporter une lueur d’humanité. Elle devient, pour un temps, le soutien moral d’un homme en détresse, offrant une brève parenthèse à ce récit tendu.

Avec une mise en scène soignée, une narration volontairement ambiguë et un mélange de genres maîtrisé – du drame social au thriller psychologique, en passant par la chronique sentimentale – «L’effacement» interpelle. Le film évoque subtilement les paradoxes d’une société conservatrice le jour, libérée la nuit ; les conflits générationnels ; les tabous liés à la sexualité, à la violence, au silence.

Réda n’est pas qu’un personnage, il est une tradition et modernité, entre silence et cri.
« L’effacement », un film troublant, à voir actuellement dans nos salles de cinéma. Il est également au programme de l’Institut français de Tunisie (IFT), demain, le 10 octobre à 19h00.

I.A.

Partage
  • 25 Avenue Jean Jaurès 1000 Tunis R.P - TUNIS
  • 71 331 000
  • 71 340 600 / 71 252 869