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Editorial : Une mort suspecte et des caméléons…

Par Chokri BACCOUCHE

Coup du destin ou coup fourré ? Telle est la question qui se pose et s’impose après la mort, mardi dernier, du chef d’état-major et de plusieurs militaires libyens dans un accident d’avion, peu de temps après avoir quitté la capitale turque Ankara où ils étaient en visite.

Le krach de l’appareil, un Falcon 50, a été attribué à un dysfonctionnement électrique mais toutes les hypothèses portant sur les causes réelles sont envisageables en attendant la fin de l’enquête et l’analyse des données figurant dans la boite noire de l’appareil. Le décès du chef d’état major de l’armée de terre libyenne, le général Mohamed Ali Ahmed Al-Haddad qui était accompagné par son conseiller ainsi que le directeur de l’industrie militaire, a provoqué un choc émotionnel intense en Libye.

Dans un pays qui peine à renouer avec la paix et la stabilité près de 15 ans après la chute du régime de Kadhafi, l’homme jouissait d’une bonne presse et était respecté. L’annonce de sa mort aura d’ailleurs unifié, le temps d’un deuil national de trois jours, les deux camps rivaux qui se disputent le pouvoir dans l’ancienne Jamahiriya. L’homme fort de l’Est libyen, le maréchal Khalifa Haftar a exprimé en effet ses condoléances et s’est dit « profondément attristé ».

La disparition simultanée du chef d’état-major de l’armée,  et du chef des forces terrestres, le général Al-Fitouri Ghraibil, est un coup dur particulièrement pour le Gouvernement d’Unité National (GUN) de Abdelhamid Debaïba qui perd ainsi en la personne de Ali Ahmed Al-Haddad, un atout précieux et un interlocuteur privilégié pour l'unification de l'armée.

Le chef d’état major du GUN était perçu, en effet, comme une figure modérée qui s’efforçait d'intégrer les groupes armés dans une structure étatique régulière. Sa mort va inéluctablement impacter l’équilibre des forces qui se disputent le pouvoir en Libye et surtout, surtout créer un vide et affaiblir logiquement l’armée du Gouvernement d’unité nationale. Elle pourrait profiter bien évidemment au sulfureux maréchal qui contrôle de main de fer l’Est de la Libye.

Bien que Khalifa Haftar ait exprimé ses condoléances, la disparition de son homologue et rival potentiel pourrait faciliter une reprise de l'initiative militaire ou politique par les forces de l'Est.

Il n’est pas du tout exclu également que les puissantes milices de l’Ouest profitent de la mort du chef d’état-major pour accroitre leur influence et reprendre davantage du poil de la bête en imposant une autonomie vis-à-vis du ministère de la Défense, affaiblissant ainsi l’autorité centrale de Tripoli.

S’il venait à être confirmé, ce scénario risque d’ailleurs de replonger de plus belle le pays dans les tourments du chaos et de l’incertitude, comme ce fut le cas au plus fort de la guerre civile qui a ravagé le pays il y a quelques années. Le décès d’Al-Haddad survient dans un contexte de grande incertitude politique et institutionnelle en Libye, toujours divisée entre le Gouvernement d'union nationale (GNA), basé à Tripoli et reconnu par l'ONU, et l'administration parallèle de l'Est, soutenue par l'Armée nationale libyenne (ANL) du maréchal Khalifa Haftar.

A l’inverse de certains pays et autres acteurs régionaux qui pourraient y voir une opportunité de rééquilibrage, la Turquie perd, avec la disparition de ce général, un allié stratégique. Pour rappel, Ali Al-Haddad avait joué un rôle clef il y a quelques années en faisant avorter, grâce à une assistance militaire providentielle d’Ankara, le coup de force du maréchal Haftar visant la prise de contrôle de Tripoli.

Les alliances n’étant jamais immuables surtout en politique, la Turquie s’est néanmoins rapprochée ces derniers mois du camp de Khalifa Haftar. Le chef du renseignement turc, Ibrahim Kalin, a ainsi rendu visite, août dernier, à l’homme fort de l’Est, peu de temps après que le fils du maréchal, Saddam Haftar, eut été reçu dans la capitale turque en avril. Les ennemis d’hier sont-ils en passe de devenir les amis d’aujourd’hui et de demain ?

C’est fort possible partant du principe qu’il n’y a pas de chat qui chasse pour le Créateur comme le dit si bien un adage ancestral. Objectivement parlant, cette nouvelle donne est susceptible d’épaissir ou à tout le moins rajouter une couche au mystère -si mystère il y a- qui réside derrière la mort, assez suspecte il faut l’avouer, du chef d’état major de l’armée libyenne.

Certes une panne électrique peut potentiellement causer un crash d’avion mais les appareils de la nouvelle génération sont équipés de systèmes de secours très robustes et fiables, capables en tout cas de remettre en cause une telle éventualité. Pour avoir le cœur net et y voit plus clair, il faudrait peut-être poser la bonne question à savoir, à qui profite la mort du général Ali Al-Haddad ?

Les parties susceptibles de tirer les marrons du feu peuvent être les moins suspectes car en politique, les caméléons qui s’adaptent à toutes les situations sont non seulement légion mais également prêts à tout pour servir leurs intérêts…

C.B.

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