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Editorial : L’art de jeter le bébé avec l’eau du bain - Par Hassan GHEDIRI

En Tunisie, l’Etat s’est toujours chargé de compenser la différence entre le coût réel des produits de base et leurs prix à la consommation, à travers la Caisse Générale de Compensation (CGC) ou par le biais des subventions aux produits de base. Cependant, au fil des ans, ce mécanisme de subvention, initialement destiné à contenir l’inflation et préserver le pouvoir d’achat des citoyens, notamment les ménages à faible revenu, est devenu un fardeau pour l’Etat nécessitant la réforme.

En fait, le système de compensation appliqué par le biais de la CGC a toujours été jugé fortement inéquitable. D’aucuns affirment, en effet, qu’il tend à subventionner beaucoup plus les consommations des «non nécessiteux» aux dépens des  «nécessiteux».

De plus, une partie des subventions est accaparée par les consommations hors-ménages par utilisation illégale des produits subventionnés comme intrants dans certaines activités (pâtisserie, hôtellerie et restauration, etc.).

Beaucoup d’études consacrées au même sujet avaient aussi démontré l’inefficience de ce système en tant qu’instrument de lutte contre la pauvreté. La réforme du système de compensation demeure une nécessité structurelle parce que, depuis son instauration, il a été mal géré et n’a jamais été vraiment un mécanisme d’équité économique et sociale.

Aussi, il s’avère que les ressources allouées aux subventions représentent plus de la moitié des crédits consacrés à l’investissement public. Son coût est comparable aux crédits budgétaires du ministère de la Santé et du ministère de l’Emploi réunis. En 2024, les dépenses de la compensation auraient dépassé les 3,5 milliards de dinars.

Courant l’été 2022, lors d’une conférence de presse à laquelle ont participé une pléiade de ministres, le gouvernement avait dévoilé les grandes lignes de ce qui est supposé être un programme national de réforme. Un programme qui se voulait être une concrétisation des engagements pris par la Tunisie   dans l’accord préliminaire conclu avec le Fonds monétaire international, comme l’avait clairement expliqué l’ex-ministre chargée des Finances, Sihem Boughdiri.

Parmi les axes essentiels de ce programme national de réforme, une approche consistant à supprimer progressivement les subventions sur les produits de base dans le cadre de ce qui a été alors appelé «la réforme du système de subvention des produits de base ».

Cette réforme, selon un document officiel publié à cette même occasion, vise à instaurer un nouveau système permettant de faire bénéficier de l’aide ceux qui en ont besoin. Pour ce faire, le gouvernement a annoncé la mise en place d’une plateforme électronique pour l’enregistrement des bénéficiaires de transferts financiers.
Douloureuse certes et sans doute impopulaire comme toute action qui vient ébranler le statu quo, cette réforme était censée prendre effet depuis 2023.

La plateforme de ciblage aurait normalement dû être opérationnelle avant fin 2022 alors que dans la foulée il était prévu de créer une unité spéciale qui veillera sur la transparence des procédures avant la mise en marche, dans un dernier temps, d’un système de subvention directe au profit des bénéficiaires. Mais depuis 2022, cette réforme a complètement disparu des priorités de l’Etat.

En rejetant le programme du FMI au nom de la souveraineté nationale et en dénonçant ses conditionnalités comme un diktat inacceptable, l’ensemble des réformes structurelles qui y étaient associées semblaient être reléguées aux oubliettes, Pourtant, la réforme de la compensation n’a jamais cessé d’être une nécessité.

Refuser une logique d’ajustement dictée de l’extérieur ne signifie pour autant pas renoncer à corriger des dysfonctionnements très préjudiciables. En abandonnant la réforme de la compensation, l’État tunisien donne l’impression de jeter le bébé avec l’eau du bain, parce qu’il sacrifie une réforme qui visait avant tout plus de justice sociale, plus d’efficacité budgétaire et une meilleure protection des plus vulnérables.

H.G.

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