Par Chokri Baccouche
Vider quelques bouteilles de vin ou de bière autour d’un déjeuner ou un dîner copieux est le dada partagé par de nombreux Tunisiens. Avec 1,7 million de consommateurs portés sur la dive bouteille, la Tunisie occupe la première place parmi les pays arabes et la 9è mondiale en termes de consommation d’alcool, nous apprennent des statistiques publiées dernièrement par l’Organisation mondiale de la santé.
Si la pierre qui roule n’amasse pas mousse, comme on s’accorde à le penser, la bière qui coule à flot, en revanche, amasse « flouss » ou argent. Beaucoup de « flouss » qui font les beaux jours des personnes qui s’adonnent au commerce très lucratif des boissons alcoolisées. Ces derniers mènent d’ailleurs la belle vie, dit-on, et n’ont pas du tout à se plaindre côté tiroir-caisse. Bon an, mal an et quelle que soit la conjoncture, leur chiffre d’affaires s’inscrit toujours à la hausse, boosté par une consommation en perpétuelle expansion.
Côté cours donc, tout va pour le mieux Madame la Marquise, le business est florissant et les clients sont contents et satisfaits même si leur lubie leur coûte de plus en plus cher vu que les boissons alcoolisées sont soumises chaque année à des taxes de plus en plus élevées.
Côté jardin en revanche ou plutôt arrière-boutique, il y a des choses à se reprocher et elles ne sont pas du tout agréables à entendre particulièrement par les responsables de l’administration fiscale.
Ali Khelifi, chef de la brigade des investigations et de la lutte contre l’évasion fiscale à la direction générale des impôts du ministère des Finances, a fait sensation, hier, en dévoilant l’ampleur du phénomène d’évasion fiscale dans le secteur de la production et du commerce des boissons alcoolisées en Tunisie. Il a, en effet, estimé à près de 1,8 milliard de dinars le montant global de cette fraude colossale dont 500 millions concernent spécifiquement les bars et les restaurants.
Véritable sport national pratiqué à grande échelle, l’évasion fiscale dans nos murs qui se chiffre à plusieurs milliards de dinars se traduit chaque année par un terrible manque à gagner pour les caisses de l’Etat. Il s’agit d’un phénomène coriace qui a non seulement la peau dure mais qui est devenu également une véritable culture bien ancrée dans le monde des affaires et des entreprises.
Par souci de combler un déficit budgétaire chronique et promouvoir une meilleure justice fiscale, les pouvoirs publics ont décidé, ces dernières années, de saisir, à la bonne heure, le taureau par les cornes. C’est dans ce cadre qu’a été créée en octobre 2017 la brigade des investigations et de la lutte contre l’évasion fiscale.
Cette structure spécialisée relevant de la direction générale des impôts agit sous la supervision des procureurs généraux près les cours d’appel et a pour mission principale de détecter les infractions fiscales à caractère pénal et d’en rassembler les preuves sur l’ensemble du territoire tunisien.
Au-delà des boissons alcoolisées, cette police fiscale enquête également sur le commerce électronique où les fraudes, semble-t-il, sont également légion avec 7 596 personnes identifiées comme exerçant sans identifiant fiscal. Les investigations couvrent aussi les cliniques privées, les médecins, les grossistes en médicaments, les concessionnaires automobiles, les grandes surfaces et les assurances.
Bref, on peut dire que la nasse se resserre peu à peu sur les adeptes de l’évasion fiscale qui sont très nombreux dans nos murs. C’est tant mieux, dira-t-on d’ailleurs, car la crise budgétaire actuelle nécessite plus que jamais la mobilisation des ressources propres de l’Etat pour faire face aux multiples urgences socioéconomiques.
Celles-ci ont pour noms contraintes budgétaires dues à l’endettement extérieur, mais également enjeux socioéconomiques liés à la détérioration du pouvoir d’achat qui est désormais confronté à une tendance inflationniste galopante, au délabrement des services publics qui souffrent d’un sous-investissement public asphyxiant, et à une pauvreté et des inégalités sociales qui ne cessent de s’accentuer.
L’instauration dans nos murs d’une véritable justice fiscale est plus que nécessaire pour répondre à toutes ces urgences. Une justice fiscale réellement équitable qui doit surtout veiller à placer tous les contribuables sur un pied d’égalité, et ce, quelles que soient leur fonction ou leur statut social. La lutte contre les inégalités et les passe-droits qui portent gravement préjudice aux intérêts de la collectivité nationale passe aussi et très certainement par-là…
C.B.

