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L’Union européenne et la France ont besoin d’un antidépresseur, par Soufiane Ben Farhat

Deux déclarations officielles lues hier sur les récents développements en Tunisie : “L’Union européenne a suivi avec inquiétude les récents développements en Tunisie” ; “La France exprime sa préoccupation…”. Bien pis, la déclaration de l’UE précise : “Des éclaircissements sur les raisons de ces arrestations ont été demandés localement par la Délégation de l’UE aux autorités tunisiennes” !

Nous y revoilà. La France et l’Union européenne semblent inquiètes, peut-être souffrent-elles même d'une anxiété aiguë voire d'une dépression. C’est leur droit. Seulement je crois bien qu’il y a des antidépresseurs pour cela. Ça se vend dans toutes les pharmacies et leurs prix semblent abordables.

Qu’un citoyen tunisien soit inquiet, préoccupé ou indigné par les arrestations d’avocats ou de journalistes, c’est on ne peut plus compréhensible, salvateur même. La citoyenneté, la logique et le bon sens l’autorisent et je dirais même l’exigent.

Mais, comme on dit, il importe de rappeler certaines vérités premières. L’Europe et l’Union européenne -et leurs big boss américains- ont une dynamique de l’inquiétude à géométrie variable. Cela dépend des pays, des situations et des accointances et complicités secrètes ou avérées. Le cas le plus révoltant à ce propos c’est celui du génocide perpétré depuis plus de sept mois par la soldatesque israélienne à Gaza à l’encontre des Palestiniens. Et, à l'instant même où j’écris ces lignes, le décompte macabre n’en finit pas. Jusqu’ici, plus de trente-cinq mille civils palestiniens ont été tués, plus de vingt mille disparus, sous les décombres, et plus de soixante-dix mille blessés.

Démocratie au journalisme autoritaire

C’est tellement flagrant que même la Cour Internationale de Justice, principal organe judiciaire des Nations Unies, a établi en janvier 2024 la commission du génocide israélien à Gaza contre les Palestiniens. Mais là, l’Europe n’est guère inquiète. Pire, elle témoigne même, en présence d’une guerre d’extermination, d’un excès du syndrome de l’euphorie et du bonheur. La majeure partie des États européens soutiennent l’expédition militaire israélienne dans la bande de Gaza, ils la financent même et leurs forces armées y prennent part activement. Elles l’assument all’aperto pour ainsi dire.

La presse européenne est muselée. Elle est aux ordres des lobbys pro-israéliens et de leurs suppôts et séides en Europe. Dans mon article de dimanche dernier sur ces mêmes colonnes, j’ai cité l’excellent article de Serge Halimi et Pierre Rimbert dans le Monde Diplomatique de février dernier, article intitulé “Le journalisme français, un danger public”. J’en reproduis la chute : “En quatre mois, les dirigeants du «quatrième pouvoir » n’ont pas seulement alimenté un culturalisme qui, comme au temps des empires coloniaux, place l’Occident au pinacle de l’humanité. Ils ont, dans leur grande majorité, entériné le point de vue de l’extrême droite israélienne et accompagné ou cautionné en France la marginalisation des opposants à la guerre en leur interdisant d’exprimer des solidarités hier encore évidentes. Ils ont ainsi précipité le baptême républicain du RN, en même temps qu’ils célèbrent le réarmement militaire et moral de la France au nom de la lutte contre la menace russe et le terrorisme islamiste. Le combat mené depuis quinze ans par les gouvernements libéraux contre les mouvements «populistes» et les régimes «illibéraux» a ici trouvé un renfort inattendu : la naissance et l’installation en France d’un journalisme autoritaire.”

Et ce n’est qu’une appréciation parmi tant d’autres étayées et argumentées tout au long d’un article de fond et de plusieurs autres publications aussi sérieuses et impartiales.

Hypocrisie, fioritures et cache-misères

De nouveau, les droits de l’homme et la liberté de la presse sont brandis ici comme une arme redoutable, escamotés et éludés ailleurs en fonction des intérêts et de la raison d’Etat. Et l’Europe campe toujours les maîtres à penser et les donneurs de leçons. C’est une vieille tradition centenaire à vrai dire.

Face à tant d’hypocrisie, il faut carrément dénoncer cette posture somme toute et au bout du compte néocoloniale. Parce que les vieux dispositifs mentaux ont la vie dure, ils persistent et signent au fil des époques.

Bien évidemment, cela n’altère en rien le combat justifié de ceux qui s’indignent du fait des dernières arrestations en Tunisie. Mais, de l’autre bord, parce qu’il y a malheureusement des bords et des points de clivage, camper encore et toujours l'eurocentrisme arrogant a de quoi révolter. De quoi leur crier justement au visage : Daignez balayer devant votre propre porte messieurs-dames et osez regarder la vérité en face, sans prismes déformants, fioritures et cache-misères.

De ce côté-ci, nous en sommes réduits hélas à parler ainsi, je me demande bien qui oserait obtempérer et donner suite aux “éclaircissements sur les raisons de ces arrestations [qui] ont été demandés localement par la Délégation de l’UE aux autorités tunisiennes” susmentionnés. Des demandes d’éclaircissements formulées, elles aussi, en toute arrogance.

Vous voulez que je vous dise ? On a l’impression de faire du surplace historique pour ainsi dire. L’Europe ne se départ guère de ce qu’un brillant essayiste originaire du Pays de Galles (Raymond Williams) avait qualifié de “son esprit spontané de domination”. Les époques changent, les obsessions impériales demeurent.

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