Par Imen ABDERRAHMANI
Encore quelques jours et la 34e édition du mois du patrimoine tire à sa fin. Tant d’activités et de festivités ont été annoncées ici et là pour accompagner cet événement spécifique qui, ces dernières années, a perdu son charme ou plutôt la boussole.
Pourquoi le mois du patrimoine ? Que voulons-nous de ce mois ? Qui cible-t-on ? Comment peut-on atteindre les objectifs tracés (si bien sûr les responsables ont des objectifs clairs) ? Et qui est censé mettre le programme et également la stratégie pour ce mois ? Nombreuses sont les questions relatives à cette manifestation colossale du calendrier culturel national mais qui demeure sans grand impact.
Dans un communiqué précédant le démarrage de cette manifestation, publié suite à une réunion de la ministre des Affaires culturelles, Amina Srarfi, avec son département, il a été question de passer «du caractère festif à un caractère plutôt stratégique». Mais les bonnes intentions ne suffisent pas. Pour que ce «souhait» prenne forme et pour pouvoir tracer un programme stratégique, il faut des têtes pensantes, créatives, capables de fuir les sentiers battus et d’aller au-delà du déjà-vu. Il faut penser grand et surtout il faut une équipe bien soudée, capable de surmonter toutes les difficultés, avec un sens d’organisation aigu et une vision pointue. Et avant tout, il faut commencer bien avant, des mois avant, pour pouvoir voir clairement et régulariser le programme au fur et à mesure, selon plusieurs facteurs.
A la recherche d’une valeur perdue
Cette année, d’ailleurs comme les années précédentes, rien n’a changé ou presque. Des activités sont annoncées ici et là par quelques délégations régionales des Affaires culturelles sans pour autant avoir un grand impact ou de la valeur, la vraie. Les organisateurs se sont contentés de meubler leur calendrier sans se poser la question : comment peut-on intéresser le jeune public ? On se demande, également, où sont les étudiants en arts et métiers, d’histoire, etc. ? Où sont ces documentaires réalisés durant de longues années par différentes générations de cinéastes tunisiens ? Une vraie banque de films qui abordent différentes composantes du patrimoine matériel et immatériel et dont la majorité a bénéficié du soutien du ministère des Affaires culturelles. Pourquoi cet abandon ? Où sont ces œuvres d’art inspirées du patrimoine tunisien et relatant des scènes de la vie quotidienne ? Pourquoi nous n’avons pas pensé à une exposition de calligraphie impliquant ces maîtres tunisiens qui ont voué leurs vies à la transmission de ce savoir-faire ?
Le mois du patrimoine est aussi l’occasion pour redonner de l’âme à nos musées, pour séduire un public «nonchalant» et «distrait», pour éblouir les visiteurs étrangers, à travers des performances en live avec une scénographie étudiée. Où sont passés les poètes populaires ? Pourquoi on n’a pas pensé à des soirées revisitant le patrimoine oral du sud, comme celui du sahel ou encore du nord-ouest ? Où sont ces voix de Semmama ? Ces hommes et femmes qui gardent passionnément la mémoire orale ?
Où sont nos chercheurs et leurs livres?
Le mois du patrimoine est aussi l’occasion pour rendre hommage et célébrer les parcours de tant d’hommes et de femmes qui ont contribué à la valorisation de nombreux sites et ont aidé avec leurs écrits à l’encouragement de la recherche scientifique, académique, archéologique. Figure emblématique de l’archéologie et de l’histoire en Tunisie, M’hamed Hessine Fantar est l’un des grands absents du mois du patrimoine, et surtout de la cérémonie d’ouverture du mois du patrimoine organisé au site de Kerkouane. Lui qui a passé sa vie à étudier ce site et lui a réservé un ouvrage géant en trois tomes. Comme M’hamed Hessine Fantar, nombreux sont les oubliés du mois du patrimoine, événement censé célébrer la mémoire et prôner la reconnaissance.
Sur le plan académique, côté édition, les chercheurs tunisiens et également les maisons d’édition tunisiennes ont enrichi la bibliothèque nationale et même internationale par de nombreuses précieuses publications qui malheureusement ne trouvent pas une place de choix dans le calendrier du mois du patrimoine. Pourquoi? De l’indifférence? De l’ignorance ? Manque de vision et de suivi ? Personne ne le sait.
Pour certains, on n’a pas marqué notre présence et nous voilà continuer tranquillement le chemin. Le mois du patrimoine ne peut être qu’une manifestation parmi d’autres. Alors à la suivante !
I.A.